Analyse : Shunto tardif

Les shunto, négociations salariales de printemps, étaient primordiales cette année. Elles terminent sur une déception

« Les négociations ont rarement été aussi tendues depuis 1952 ». C’est le constat de Takashi Suda, le directeur exécutif de Rengo, la principale fédération syndicale nippone, en pleines négociations salariales de printemps. Le syndicaliste exigeait une hausse « d'au moins un point » du salaire de base. Après des mois de pourparlers, les résultats sont tombés le 13 mars. Plusieurs grandes firmes japonaises ont consenti à augmenter les salaires de base, après de longues années de stagnation pour certaines d’entres elles. L'emblématique Toyota a brillé en augmentant ses salaires de 7,6% (en cumulant bonus, salaire de base et revalorisation à l'ancienneté). Mais en moyenne, les hausses de cette année s’échelonneront de 1000 à 3000 yens par mois, loin des souhaits exprimés par les syndicats. Au total, selon les calculs de Morgan Stanley, les salaires augmenteront de 2,1% dans les grandes entreprises, contre 1,8% l'an dernier. Ils demeurent inférieurs à leur niveau de 2007, avant le « choc Lehman ». Les syndicats pouvaient pourtant compter cette année sur le soutien du premier Ministre Shinzo Abe. Ce dernier, lyrique, avait appelé, dans un article récent, à un « contre-Wassenaar », du nom d'un accord salarial de référence passé en 1982 aux Pays-Bas entre patronat et syndicats qui limita les salaires, donc les prix, pour enrayer l'inflation. Shinzo Abe craignait l'impact de la hausse de la taxe à la consommation de 5 à 8% le 1er avril sur le pouvoir d'achat, alors que les trois quarts des Japonais avouent encore ne voir aucun effet des Abenomics , sa politique économique, sur leur situation personnelle. « La consommation des Japonais est encore trop basse. Le pouvoir d’achat doit augmenter en même temps que les prix. Sinon l’économie dans son ensemble en pâtira », prévient Hiroatsu Nohara, économiste, chargé de recherche à l’Institut japonais JILPET. Shinzo Abe espérait au moins la reconnaissance du ventre des grandes entreprises, en particulier des exportatrices, dont il a dopé les bilans comptables grâce à sa politique d'affaiblissement du yen. Ainsi, Toyota estime à 800 milliards de yens (sur 1000 milliards) l'effet de change sur la hausse de son bénéfice d'exploitation sur la période avril-décembre 2013.

Le shunto est-il encore utile ?
Les banderoles appelant à la hausse des salaires flottaient comme des oriflammes début février dans le parc Hibiya de Tokyo, haut lieu des luttes de la gauche japonaise. Mais il n'y a pas eu de grand soir. Pour les travailleurs japonais, ces shunto ne furent qu'un arrêt temporaire dans la baisse de leurs salaires (-0,7% en 2013) et la montée de la précarité (35% des travailleurs, contre 18% il y a vingt ans). Ce rendez-vous, inventé en 1952 pour surmonter la faiblesse organisationnelle du syndicalisme d'entreprise au Japon, non pour un objectif de croissance, a été détourné de son objet. Cette négociation est de toute façon limitée dans son application. Elle concerne surtout les salariés non précaires des grandes entreprises, rappelle Hiroatsu Nohara. À tel point que la presse pose chaque année la question de son utilité.
Les PME, qui représentent 87% de l'emploi (48 millions), ne sont pas décidées à augmenter les salaires, explique Hiroatsu Nohara. Elles souffrent beaucoup plus de la déflation que les grandes entreprises. Entre 2002 et 2013, selon les calculs de l'économiste Richard Katz, les salaires ont augmenté en moyenne de 1,8% dans les grandes entreprises, mais ont baissé de 0,6% dans les PME.
Salariés et gouvernement seront peut-être sauvés par la démographie. La pénurie de main-d'œuvre pousse les salaires à la hausse. « Il existe un certain consensus social entre les entreprises et le gouvernement sur la nécessité de l’augmentation des salaires. C’est un point très positif », conclut Hiroatsu Nohara.

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Hausse des salaires en 2014
Toyota - Salaire de base : +2700 Yens / Bonus : 6,8 mois
Hitachi - Salaire de base : +2000 Yens / Bonus : 5,6 mois
Nippon Steel - Salaire de base : +2000 Yens / Bonus à la performance

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