Au Japon on sème...

L’exemple de Limagrain prouve que l’agriculture japonaise ne va pas mal partout

S’il est un secteur dans lequel des acteurs étrangers ont a priori peu de chances d’investir au Japon, c’est bien l’agriculture. Ossifiée (la moyenne d’âge des agriculteurs japonais est de 66 ans), morcelée (la taille moyenne des exploitations ne dépasse pas 2,2 hectares), ultra-subventionnée donc conservatrice (hors Tokyo les agriculteurs constituent un lobby indispensable pour remporter les élections), l’agriculture japonaise semble concentrer tout ce qu’on reproche à l’Archipel.
Mais il est une niche où ce sombre constat n’opère pas : celle de la semence. Le semencier français Limagrain est présent ici « depuis les années 70 », explique son représentant au Japon Vincent Supiot. Limagrain a racheté non pas une mais deux sociétés japonaises puis les a regroupées pour former Mikado Kyowa Seeds. Et il n’a sans doute pas fini ses emplettes. « Le secteur est très morcelé et une nouvelle acquisition n’est pas à exclure » indique, sybillin, Vincent Supiot. Aujourd’hui Mikado Kyowa Seeds est le troisième acteur au Japon avec 10% de parts du marché local. Chaque année depuis dix ans Limagrain investit environ deux millions d’euros dans l’Archipel.
Le site d’Otaki (banlieue de Tokyo) est une démonstration des ambitions de Mikado Kyowa Seeds. À côté d’un laboratoire ultramoderne sont alignées des dizaines de serres dans lesquelles les ouvrières nippones cultivent des légumes.
Les grands semenciers japonais existent depuis 200 ans. Le Japon demeure le premier marché au monde en valeur pour les semenciers. Il est l’un des cinq grands pays du secteur avec la France, Israël, les États-Unis et les Pays-Bas. Et il le restera. Sa recherche est une des plus pointues au monde. Ses universités ont des filières reconnues dans le monde entier. L’Archipel est d’une manière générale un laboratoire idéal pour les semenciers pour sa relation avec le temps : une semence nouvelle nécessite dix à quinze années de recherche-développement, ce qui correspond au rythme de recherche nippon. « Je trouve qu’il est très facile d’innover au Japon. Nous signons des partenariats avec les universités, nous essayons de créer de nouvelles variétés de légumes... », explique Vincent Supiot.

Du Japon vers le monde
Autre avantage : grâce à sa très grande longitude et à sa variété de climats, l’Archipel produit une gamme spécifique de légumes : daikon, gobo, kabu, komatsuna... C’est peut-être ici que les ambitions de Limagrain sont les plus étonnantes. Avec Kyowa Seeds le semencier français souhaite développer une gamme de produits japonais à destination des marchés étrangers. L’entreprise a déjà produit des carottes japonaises passées inaperçues au Japon mais... plébiscitées en Chine. « Regardez le kabocha, ou potiron japonais : un maraîcher en cultive en France uniquement pour des restaurants étoilés Michelin ! », s’enthousiasme Vincent Supiot.
Le Japon est enfin une école en terme de relations avec le consommateur. Alors que l’agriculture française essaie de produire toujours plus, en masse, l’agriculture japonaise a davantage segmenté son offre. Ce qui correspond à la demande des consommateurs. « À l’agriculteur s’est substituée la grande surface, qui veut se différencier : pommes de terre pour frites, pour purée, pommes de terre violettes..., énumère Vincent Supiot. Limagrain a choisi comme axe stratégique le goût et les produits nutritionnels (les broccolis avec de l’anti-oxydant, la carotte avec la carotène...), ce qui convient parfaitement au Japon. Ici les gens paient pour la qualité ».
<BR/>D’autres innovations impressionnent le Français. Les usines à laitues par exemple. Il en existe 300 dans l’Archipel. La société Spread a promis la prochaine inauguration à Kyoto d’une usine capable de produire 30.000 salades par jour sous lumière artificielle, avec eau recyclée et sans pesticides, avec pour maraîchers des... robots. Cette idée peut faire sourire. Mais elle place la culture des salades en milieu urbain, donc près des lieux de consommation, offrant quantité d’avantages (moins de transports, moins de pollution) par rapport aux modes de productions traditionnels. « L’association des fabricants de laitues en usine a réuni des fabricants d’éclairage électro-luminescent, des fabricants de matériel agricole, des semenciers, des universités pour faire les tests, des entreprises à proximité pour être les premiers clients... ce genre d’association entre professionnels est très facile au Japon », explique Vincent Supiot.

Partager cette page Partager sur FacebookPartager sur TwitterPartager sur Linkedin