Couleur chocolat

Sébastien Bouillet

Le Japon goûte, aime, et devient une nation de chocolatiers

ROCK STARS

Jérôme de Oliveira devrait être rompu aux honneurs. Champion du monde de pâtisserie à 23 ans en 2009, ce jeune prodige est fêté partout. Mais il a été abasourdi par son triomphe au Salon du chocolat d’Isetan en janvier. « La première heure du premier jour, une jeune femme est venue avec chaque ongle peint au motif d’un de mes chocolats. Les gens voulaient des selfie, un autographe sur leur sac Louis Vuitton, sur leur iPhone... Le dernier jour, une cliente m’a expliqué qu’elle avait pris neuf de ses quinze jours de congé annuel juste pour me rencontrer tous les jours. Je ne mérite pas un tel honneur. Mon père est pompier ; lui mérite le respect, pas moi », souligne-t-il.
Cette passion attire les talents au Japon. Trois chocolatiers français ont ouvert à Tokyo en janvier ! Arnaud Lahrer, Jean-Charles Rochoux et Fabrice Gillotte. Sébastien Bouillet, qui vient au Japon quatre fois par an depuis dix ans et exploite cinq chocolateries au Japon, abonde : « Il n’y a pas deux pays comme le Japon », dit-il dans son stand du Salon du Chocolat. Le Japon n’est pas encore un grand marché du chocolat : aujourd’hui, les Japonais mangent environ 2 kilos de chocolat par habitant, alors que les Français mangent 7 kilos. Mais c’est un marché sophistiqué et passionné. Une trentaine de chocolatiers étrangers, dont beaucoup de français, participaient au Salon du Chocolat cette année. Un événement si populaire que son producteur Isetan a dû le déplacer dans un espace plus grand que celui de son magasin, et canaliser la foule par un système de réservations.
« Au Japon, il faut toujours se renouveler. Les gens vous brûlent aussi facilement qu’ils vous ont adoré », explique Sébastien Bouillet. Cette année, il vend des rouges à lèvres et des boîtes à maquillage en chocolat. « On attire les Japonais avec des produits originaux, mais on les fidélise avec des produits classiques », explique Laurent Duchêne, venu de Paris où il possède deux pâtisseries avec son épouse (japonaise) Kyoko. Le Japon est aussi devenu un lieu de création. Sébastien Bouillet encore : « On trouve des chocolatiers et pâtissiers japonais meilleurs que les français. Ils ont accès à d’excellents ingrédients. Ils ont encore du mal à équilibrer les saveurs, mais leur dévouement est impressionnant et ils ont un sens du service et de l’emballage au-delà des chocolatiers français ».
Le succès de Pierre Hermé est un exemple vivant de l’amour du Japon pour la pâtisserie et le chocolat. Issu d’une lignée de pâtissiers alsaciens, Pierre Hermé a révolutionné son métier en y insufflant innovation et art. Or le Japon a été la clé de son succès : il y a vingt ans, il y ouvrait son premier magasin, à l’hôtel New Otani de Tokyo. « Kazuhiko Otani, très friand de pâtisserie, a cru en moi », se souvient-il, assis dans le café qui jouxte sa première boutique. Depuis il a ouvert 15 boutiques au Japon et 16 en France. « 90% de mon activité aujourd’hui est entre la France et le Japon », dit-il. Un pied en France, un au Japon, il ouvre dans le monde entier.

DOUX-AMER

Pourtant, de nombreux chocolatiers français se plaignent du marché japonais. Ils regrettent son statut de denrée « de luxe ». Le chocolat demeure consommé seulement pour la Saint-Valentin et les saisons des cadeaux O-Seichi et O-Seibo. « Mon importateur japonais promeut mon chocolat mais il abîme mon nom en lui fixant un prix élevé. Je ne pense pas qu’il soit judicieux de dépecer ses premiers clients... », s’alarme un chocolatier français.
Un autre, qui a une longue expérience du Japon, écarte ces préoccupations : « Quand vous arrivez ici vous payez un prix élevé pour le marketing, etc., mais il baisse après 3 ou 4 ans ». « Au Japon, vous achetez un chocolat pour votre plaisir ou pour le partager avec une ou deux personnes, pas au goûter », explique Sébastien Bouillet. Stéphane Bonnat, un chocolatier français distribué dans 500 coins du monde, s’inquiète : « le Japon est comme la France il y a cent ans, mais sans les occasions pour consommer du chocolat : les mariages, les fêtes religieuses, les fêtes de Noël, les anniversaires, les soirées... » Arnaud Lahrer est optimiste : « Souvenez-vous de la France il y a trente ans : la saison du chocolat durait de novembre à Pâques, avec une offre limitée. Aujourd’hui, le chocolat fait partie de la vie de tous les jours, il s’est bonifié, l’offre est pléthorique et le marché est très animé.
Au Japon, il y a dix ans, mes premiers clients avaient vingt ans ; aujourd’hui, ils achètent des chocolats pour leurs enfants, qui grandiront avec. Je crois que l’amour pour le chocolat ne fera que grandir dans ce pays », dit-il. « J’ai reçu 60 CV quand j’ai annoncé que j’ouvrais une boutique ici. Les gens respectent vraiment mon métier, ils me voient comme un artiste. C’est la magie de ce pays », conclut Arnaud Lahrer. 

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