Edito : Yen faible, pays pas forcément fort

Depuis la fin de la guerre, le Japon vit au rythme des périodes d’enyasu (yen faible) etendaka (yen fort), avec une préférence marquée pour les premières. Economie qui a fondé, depuis toujours, sa croissance sur ses industries exportatrices, l’Archipel devrait donc, logiquement, se réjouir du niveau actuel de sa monnaie. En termes nominaux, le yen n’a pas été aussi faible depuis 2008. En termes réels, il faut revenir à... 1973 pour retrouver un niveau aussi bas. Sur ce plan, la stratégie des Abenomics, qui recherchait sciemment à faire chuter le yen (le ministre de l’Economie, Taro Aso, a longtemps arboré parmi ses titres : « En charge de la dépréciation du yen »), a pleinement fonctionné. Le yen a reculé d’environ 40% en deux ans face à l’euro et au dollar.


L’affaiblissement du yen a comme principal avantage de relever les bénéfices en yens des entreprises exportatrices japonaises. Leurs bénéfices ont bien explosé. Mais les exportations en volume ont stagné. Et le Japon, champion de l’excédent commercial jusqu’en 2011, s’est désormais installé solidement dans le déficit. 



Sans hausse des commandes, la conversion en yen des bénéfices réalisés en devises n’est qu’une pure opération comptable, qui ne s’est pas traduite par davantage d’investissements au Japon. Même les grandes entreprises exportatrices estiment de plus en plus ouvertement que le yen faible a un effet marginal sur leurs opérations. L’industrie automobile, ainsi, a accéléré sa délocalisation depuis le choc de l’accident de Fukushima en mars 2011. L’industrie électronique, elle, est consciente que le yen faible ne règlera pas son problème de compétitivité. 



Le pays en revanche doit supporter les nombreux inconvénients d’un affaiblissement de sa monnaie, en particulier un renchérissement des produits importés. Les importations japonaises ont baissé en volume (-2%) depuis l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe, mais ont bondi en valeur (+21%). Contrairement à une croyance solidement établie, les importations d’énergie en volume ont reculé (-6%), alors qu’elles ont explosé en valeur (+25%) depuis l’arrivée de Shinzo Abe. 



Les foyers assistent à la hausse des prix de l’énergie et de leurs denrées alimentaires, importées, avec une certaine stupéfaction depuis deux ans. Leur revenu disponible a rétréci de 6% en un an, ce qui les force à réduire leur consommation. Les PMEs, qui d’ordinaire vendent leur production en yens sur le marché national, subissent la hausse de leurs coûts sans pouvoir les répercuter sur leur client final. Cette dégradation des « termes de l’échange » se fait principalement au bénéfice des grandes entreprises nippones et des fournisseurs du Japon (pétromonarchies, puissances agricoles...). Ajoutée à la hausse de la TVA de 5 à 8%, elle inquiète désormais tout le patronat. Ses deux principaux syndicats, le Keidanren et Keizai Doyukai, regrettent le niveau anormalement bas du yen. Même le ministre de l’Economie s’est récemment rangé à leurs vues. 



Cette prise de conscience ne peut que réjouir les entrepreneurs étrangers installés au Japon. La plupart des membres de la Chambre de Commerce française au Japon pâtissent d’un yen faible. Le débat en cours sur la politique japonaise du change, qui est un écho du même débat en Europe sur le niveau de l’euro, est le bienvenu.

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