Gastronomie : dîner en 
tête-à-tête

Depuis cinquante ans, les restaurants français au Japon n'ont cessé de monter en gamme. Désormais, les chefs japonais investissent la France.

Un tronc commun
« Si la gastronomie occidentale est un arbre, alors le tronc en est la France, et les branches en sont l’Espagne, l’Italie, etc. » : Harumi Osawa, grande gastronome et présidente du French Food Culture Center, emploie des images fleuries pour décrire l'importance, capitale, de la cuisine française à ses yeux. Un sentiment partagé par le plus grand nombre au Japon. Depuis la première édition du guide Michelin en 2007, il pleut des étoiles sur le Japon. En 2013, Michelin a distingué 32 trois étoiles au Japon, contre 27 pour la France.
Cette passion vient de loin. Le critique Masuhiro Yamamoto n'avait que 25 ans en 1973 lorsqu'il poussa la porte de la brasserie Lipp, à Paris, à la recherche de la sole meunière de ses rêves. « Ce plat représentait la quintessence de la cuisine française au Japon, alors que pour les Japonais, la sole est un poisson ordinaire », se souvient-il. Depuis ce dîner fondateur, il a écrit une centaine de livres sur la cuisine. Masuhiro Yamamoto est la cheville entre la cuisine d'hôtels des années 60 et celle d'authentiques créateurs à partir des années 80. Ce mouvement fut nourri par les jeunes chefs nippons partis trimer, souvent dans des conditions très précaires, dans les cuisines des grands restaurants français. Les chefs Paul Bocuse, Pierre Troisgros et Louis Outhier ont introduit le « menu dégustation » à partir de la cuisine kaiseki de Kyoto. La « nouvelle cuisine », née au Japon, a été importée en France par Henri Gault et Christian Millau.

À la recherche de la perfection
Dans les années 80, tous les grands chefs français ouvrent une table au Japon. Robuchon, Passard, Bocuse, Gagnaire, Ducasse... Cette frénésie s'explique notamment par l'offre imbattable de produits frais au Japon, qui permet de réduire les coûts d'approvisionnement. « J'ai ouvert un restaurant de sushis à Hong Kong, mais tout le poisson vient de Narita. La qualité n'est pas assez élevée là-bas », explique Ernie Singer, importateur de grands crus et entrepreneur installé au Japon. « C’est à Tokyo que les restaurants gastronomiques sont les plus rentables car l’offre de produits frais locaux est inégalable », explique un ancien chef de l'Atelier de Joël Robuchon. Lionel Beccat, de L’EsQuisse, vit à chaque service la passion des Japonais pour son art : « Les Japonais ne cherchent qu’une seule chose : la perfection. C’est le seul pays où je vois des chefs se mettre des gifles à eux-mêmes. Et la clientèle est si sophistiquée qu’elle m’explique ce que j’ai voulu faire. C’est pour ça que j’ai choisi de travailler à Tokyo ».
Les Japonais prennent désormais la place des Français. Les grandes ouvertures françaises se font rares au Japon depuis 2007, mais les Japonais ouvrent d'excellentes adresses en France. 17 restaurants étoilés de l’Hexagone ont un chef japonais dans le Guide Michelin 2013. « Ça n’est que justice, explique Lionel Beccat. Pendant trente ans, le Japonais était le larbin des cuisines françaises. Aujourd’hui, ils nous en remontrent ». Tel est pris qui croyait prendre. Et ils continuent d’influencer les chefs français. « Seuls les chefs japonais savent couper le poisson cru correctement », tranche Ernie Singer. Leur technique de conservation, du bateau de pêche à l'assiette, influence encore les cuisiniers français. Masuhiro Yamamoto explique pourquoi dans les fameux Atelier de Joël Robuchon, le comptoir mesure 50 centimètres de large : « un chef sushi a expliqué à Robuchon qu’un comptoir devait être long comme deux avant-bras, distance idéale pour dialoguer. Robuchon a mesuré le comptoir de ce restaurant de sushis devant moi ».

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