Histoire : Le Japon et l’Unesco

Le Mont Fuji rejoint la liste des sites inscrits au Patrimoine de l’Humanité de l’Unesco.

Au sommet

Victoire ! Le Mont Fuji, symbole s'il en est du Japon à travers le monde, a été recommandé par le Conseil International des Monuments et des sites à l'UNESCO afin de rentrer dans la liste tant convoitée du patrimoine mondial de l'Humanité. Ont été retenus 25 éléments pour l'ensemble, allant aussi bien des monuments religieux au sommet du célébre volcan que de la route que les marcheurs empruntent pour y accéder, ou encore des cinq lacs, Fuji goko, qui se trouvent à sa base. Si, à l'origine, les officiels de la préfecture de Yamanashi et de Shizuoka avaient prévu d'inscrire le Mont comme patrimoine naturel, ils changèrent de tactique au vu du scepticisme qu'une telle inscription avait provoqué. En effet, le développement urbain autour du site, ainsi que la dégradation due aux énormes déchets illégalement jetés, auraient sans doute été un frein majeur à son inscription. Sur la liste depuis 2007 pour son inscription, les autorités ont donc préféré le présenter comme un héritage culturel.

Et de fait, depuis les premières compilations poétiques datant des VIIe et VIIIe siècles, le Mont Fuji n'a cessé d'inspirer peintres et écrivains. Il devint une destination prisée des pèlerins et des grimpeurs dès la période Edo (1630-1867), époque où les voyages à l'intérieur de l'Archipel prirent leur essor, alimentant la vénération aux dieux tout en développant échanges et commerces. Les célèbres 36 vues du Mont Fuji (Fugaku Sanjurokkei) datant de 1831, par le célèbre peintre d'Ukyo-e, Hokusai, ou plus simplement l'usage immodéré qui est fait de cette montagne sous toutes les formes possibles (notamment comme peinture murale dans les bains publics) et à travers tout l'Archipel, en font incontestablement le symbole du Japon. « Fuji hitotsu uzumi nokoshite wakaba kana, le Fuji seul/reste sans être couvert/par le jeune feuillage », disait justement le poête du XVIIIe siècle, Yosa Buson, dans son haïku, qui en louait ainsi l'impermanence et la continuité à travers les âges, à l'image de celle de la famille impériale.

Pas de printemps pour Kamakura

Moins de chance en revanche pour Kamakura, qui est sur la liste potentielle depuis 1992, c'est à dire depuis que le Japon a ratifié la convention concernant le patrimoine mondial. La décision par le comité d'experts de l'Unesco de ne pas inscrire la vieille capitale sur la liste a provoqué un choc. La ville, on le sait, fut le centre du pouvoir et un des grands moments de l'histoire du Japon. Ce que les historiens dénommèrent l'ère Kamakura (1192-1338) commence avec l'octroi par l'empereur du titre de sei-i-tai-shogun (commandant en chef contre les barbares) à Minamoto Yoritomo, qui devint ainsi le premier shogun de l'histoire. Durant cette période, grâce à une paix relative, le commerce intérieur se développa, les rizicultures s'étendirent, les lois féodales furent codifiées, et une culture empreinte d'austérité vit le jour dans cette société purement militaire. Après avoir repoussé deux invasions mongoles en 1274 et en 1281, la caste militaire affermit encore davantage son pouvoir. C'est donc sous l'angle historique, c'est à dire la naissance du shogunat et la culture samouraï, que le site fut présenté. Mais le Comité refusa, alléguant du fait que cette importance historique n'apparait pas vraiment à travers ses monuments, comme le Grand Bouddha ou le sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu.

Pour Kosaku Maeda, professeur émérite à l’université de Wako, il aurait mieux valu proposer l’inscription à travers les monuments de la période médiévale, plutôt qu’à travers la signification historique de l’émergence de la caste des samouraïs. Rien cependant ne permet de dire que dans ce dernier cas, Kamakura aurait obtenu le sésame, car la Commission a également rappelé que l’urbanisation excessive avait lourdement compté dans l’échec de la ville. Richard Collasse, président de Chanel K.K. et résident de la ville, déplore les ravages du béton : « Le refus de l'Unesco était écrit, et je me suis tué à le dire aux autorités de Kamakura pendant des années : manque total d'adhésion de la population, plan d'occupation des sols en dépit du bon sens (ils ont laissé construire un funérarium sur Yurigahama Dori, l'artère commerçante du cœur de la ville !), et une stupide politique d'imposition sur les successions qui oblige à vendre le joli jardin japonais où sera construit un hideux immeuble de rapport en béton... Tout cela a créé une belle convergence pour le rejet de la Commission ! » Le gouverneur de Kanagawa, Yuji Kuroiwa, s’est dit choqué à l’annonce du refus de l'Unesco, « comme si tout devenait noir autour de moi ». Il semble que les autorités de Kamakura ont perdu la vue il y a déjà longtemps.


Christian Kessler, historien, professeur détaché 
à L'Athénée Français de Tokyo, enseignant aux universités

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