Les malheureux de l'enyasu

Haro ! Le yen baisse enfin, offrant un répit à la formidable machine exportatrice japonaise. À quel prix ?

Bonne nouvelle pour l'industrie
Une réussite, le yen faible ? Pas pour tout le monde. Le gouvernement de Shinzo Abe s'était donné pour mission principale de terrasser la déflation en enrayant la hausse du yen, qui handicape les exportations du Japon. Le vice-premier Ministre Taro Aso a même parmi ses quatre titres, noir sur blanc, celui de « Ministre chargé de contrer l'appréciation du yen ». Mission accomplie : après le changement de majorité, le yen a baissé de 20% en quelques semaines. La Bourse, qui grimpe corrélativement avec la baisse de la monnaie nippone, est euphorique. Les investisseurs reprennent espoir. Les grands exportateurs japonais, qui tirent la croissance du pays, se réjouissent : enfin l'obstacle de la monnaie est levé. Le prix des voitures, des machines-outils, des ordinateurs made in Japan va enfin reculer. « Pour Nissan, chaque fois que le cours du yen augmente d’1 yen face au dollar, le bénéfice d’exploitation annuel recule de 20 milliards de yens » explique à FJE Christopher Keeffe, porte-parole de Nissan.

Mauvaise nouvelle pour les ménages
Mais les ménages ne devraient pas se réjouir trop vite ; car les importations du Japon sont principalement des produits de première nécessité (alimentation, vêtements, énergie), dont les cours augmentent à mesure que le yen baisse. Ainsi toute baisse du yen est-elle une attaque directe sur leur portefeuille, donc sur leur propension à consommer et à épargner.
À commencer par les dépenses d'énergie des foyers. Les énergies fossiles constituent le premier poste du déficit commercial nippon. Depuis l'accident de Fukushima, les importations japonaises de pétrole et de gaz naturel se sont envolées. Le poste énergie fossile représentait en 2012 un déficit colossal de 23.000 milliards de yens, qui va encore se creuser avec la baisse du yen. Ce coût n'a pas encore été répercuté sur la facture finale payée par l'usager, mais ça n'est qu'une question de temps. Une hausse de 10% du prix de l’électricité se traduit par un bond de 8000 yens par an de la facture des foyers, a calculé l’Institut japonais des économies d’énergie « D’ici juin 2014, le gouvernement travaille à remettre en marche la moitié de son parc nucléaire. La facture énergétique actuelle du Japon n’est tout simplement pas soutenable » estime Hubert de Mestier, consultant et professeur à l’université Waseda.
Idem dans l'agroalimentaire, où l'Archipel accuse un déficit commercial de 5000 milliards de yens (50 milliards d'euros). Lors de la dernière phase descendante du yen (novembre 2004-juin 2007), ce dernier a perdu 19,4% de sa valeur face au dollar, renchérissant les prix de la nourriture importée de 35% pour les Japonais, a calculé Nobuyuki Saji, de MUFG. Même phénomène dans le textile, dont le Japon est un importateur net, et dont les prix à l'importation ont grimpé de 12% entre 2004 et 2007. Ces hausses de prix sont encore aggravées par la croissance économique de la Chine, gourmande de tous ces produits. Mauvaise nouvelle pour le consommateur : si les prix de ces biens importés augmentent quand le yen baisse, ils baissent très peu quand il monte, note l'économiste. Pourquoi ? En l'absence d'offre intérieure japonaise pour les concurrencer, l'importateur a toute liberté de faire passer les hausses de prix de ses produits sur le consommateur final.

Un effet qui fait long feu
Autre bémol à l'euphorie qui suit le déclin du yen : l'effet du yen faible sur l'économie intérieure tend à diminuer avec la désindustrialisation du pays, observe Nobuyuki Saji. Contrairement à ce qui se passait lors des précédentes périodes d'affaiblissement du yen, les industries exportatrices, type outillage industriel ou équipement de transport, ne peuvent plus mobiliser leurs capacités de production d'un claquement de doigt. La raison : la chute de la main-d'œuvre disponible en raison du vieillissement de la population. Depuis 2005 par exemple, la main-d'œuvre dans l'outillage industriel a fondu d'un quart (600.000 personnes), et sa moyenne d'âge a vieilli. L'industrie du transport suit la même pente.
Conclusion : les avantages du yen faible diminuent rapidement au regard de ses inconvénients, surtout dans un contexte de déficit commercial nouveau depuis 2010 pour le Japon, qui dépense plus qu'il ne gagne. Les ménages japonais, qui paient la facture, s'en apercevront peut-être avant de voter pour les partisans de l'enyasu (yen faible) aux élections sénatoriales de juillet...

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