Les surprises de la démographie

Les bouleversements démographiques en cours au Japon auront lieu aussi dans les autres pays développés. comment le pays réagit-il? Le vieillissement et la baisse de la population sont une réalité pour tous les pays développés. Le Japon apporte ses propres réponses.

Encore leader !
Le Japon, leader aussi dans l’abîme ? La démographie japonaise semble destiner l’Archipel au déclin. Les chiffres sont implacables. Avec un taux de natalité en-dessous de 1,5 enfant par femme et une population en situation de vieillissement accéléré, les marchés ne peuvent que baisser en taille et les Japonais s’appauvrir. Mais ça n’est pas si simple. « Ces phénomènes démographiques sont complexes. Personne ne les a vécus et personne ne peut donc déjà les analyser. Je les compare au défi du dérèglement climatique », estime Rolf Alter, chercheur à l’OCDE, auteur d’un rapport sur le vieillissement du Japon. Sur le plan macroéconomique, la démographie japonaise comporte tout de même quelques bonnes surprises, observe le grand démographe Nicholas Eberstadt. Le faible nombre d’enfants combiné à la bonne santé des seniors limitent les dépenses de santé et d’éducation, observe-t-il. D’autre part, la baisse de la population libère des terres agricoles et réduit les besoins du pays en alimentation et en énergie. « La qualité de vie des Japonais va encore progresser », prédit-il.
La chute démographique du Japon a contribué à résoudre le problème avec lequel se battent la plupart des économies développées : le chômage. Avec un taux de chômage à un niveau inédit en vingt ans, le Japon est actuellement en situation de « sur-emploi ». Selon une récente étude du FMI, il y a aujourd’hui dans ce pays 5 offres pour 1 demande d’emploi d’agent de sécurité ; 3 offres pour une demande d’emploi dans le bâtiment ; et 7 offres pour 1 demande d’emploi dans la médecine.

Le chômage, cet inconnu
Pour les jeunes, cette situation représente une aubaine. Souvent endettés, en situation précaire, ils constituent une catégorie d’actifs beaucoup plus vulnérables que leurs aînés. Mais le Japon est peut-être le seul pays développé dont le taux de chômage des jeunes est inférieur au taux général. Une particularité qui au moins n’hypothèque pas leur avenir. En France en 2014, le chômage a atteint 10% de la population active, mais 23% des jeunes ; au Japon seuls 3,4% des jeunes étaient sans emploi en 2014, pour un taux de chômage général de 3,6%.
« Le chômage est le pire facteur d’inégalités. Il n’y a aucun doute à ce sujet », selon Rolf Alter. « Le chômage des jeunes a un effet néfaste sur la croissance,la stabilité politique et sociale d’un pays, et sur sa capacité à exploiter ses ressources démographiques », explique Amlan Roy, directeur des études démographiques chez Crédit Suisse.
Mais c’est toute la société qui semble mobilisée pour maintenir l’activité. « La population baisse, le nombre de 15-64 ans baisse, le nombre d’heures travaillées baisse ; pourtant le nombre de gens qui travaillent continue d’augmenter », observe Naohiko Baba, de Goldman Sachs. Deux catégories ont rejoint la population active. La première est constituée par les seniors. Presque 80% des 60-64 ans et 31% des plus de 65 ans travaillent au Japon. La seconde catégorie en hausse est celle des femmes. Leur taux d’emploi est désormais similaire au taux français.
Cette généralisation du travail altère la distinction entre actifs et inactifs. Le Japon pourrait trouver là un nouvel équilibre pour maintenir son niveau économique.
« Le Japon est dans une situation extrême ; mais c’est une situation extrême qui sera à terme vécue par tous les pays-membre de l’OCDE. Le vieillissement est en marche. Si vous voulez observer ses conséquences, vous devez absolument prendre votre billet d’avion pour le Japon. C’est un laboratoire pour le reste du monde », estime Rolf Alter. « Ma conclusion est plutôt positive. Dans la plupart des discussions, le vieillissement et la baisse de la population sont considérés comme les marques d’un déclin. Mais c’est une vision trop étroite. Ces phénomènes vous donnent aussi de nouvelles marges de manœuvre politiques. L’allongement de la vie est un progrès. À nous de bien le gérer. Mieux faire travailler les plus de 65 ans par exemple. Regardez ce que font les Danois : ils repoussent automatiquement de deux mois l’âge de la retraite à chaque fois que l’espérance de vie progresse d’un an. Ils font ça depuis très longtemps. C’est une attitude proactive, pas réactive, comme celle qu’ont la plupart des gouvernements sur ce sujet ». Tous les pays du monde sont en proie au vieillissement. Selon le démographe Hans Rosling, le nombre d’enfants dans la tranche 0-14 ans est déjà en train de diminuer et la population mondiale va commencer à rétrécir. Dans un tel contexte le Japon pourrait devenir, une fois de plus, une référence.

Des secteurs qui évoluent
La construction est touchée de plein fouet par la chute de la démographie. En vingt ans, le nombre d’ouvriers du bâtiment s’est effondré d’un quart et il baissera encore de 10% d’ici 2020. L’âge moyen dans la profession est de 44 ans (contre 42 ans pour toutes les professions), et sera de 51 ans en 2020 selon le ministère de la Construction. Plus d’un tiers des ouvriers a plus de 55 ans. Mais il existe des solutions. « Pour sa rénovation, le stade de football d’Osaka aurait dû employer 360 personnes. Après avoir radicalement changé ses méthodes en ayant recours au préfabriqué, ce chantier n’a finalement nécessité que 60 personnes », raconte Etona Ueda, co-auteur d’un rapport de l’institut de recherches NRI paru mi-janvier intitulé Changer la chute de la population active en opportunité.

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