Shibuya : La renaissance

la hype

Le quartier de Shibuya prend dix ans pour tout refaire.

RÉNOVATION
« La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le coeur d’un mortel », se lamentait Charles Baudelaire. Il aurait sans doute mal vécu à Shi­buya. Son passage piétons Scramble emprunté au quotidien par 500.000 personnes, cerné de gigan­tesques écrans plats hypnotisants, est l’épicentre de la pop culture nationale. Il est aussi celui de la réinvention de ce quartier inclassable. « Shibuya, c’est the place to watch. Le quartier sera en travaux jusqu’en 2027 », affirme l’analyste immobilier d’un groupe de luxe. Symbole de l’hyper concentration urbaine et économique du Japon autour de Tokyo (pratiquement toutes les grandes sociétés nippones y ont leur siège), Shibuya se densifiera encore dans les années à venir, creusant davantage l’« inégalité spatiale » entre le centre et sa périphérie dans ce pays. « On disait que la valeur de l’immobilier chu­tait à partir de 90 minutes de transport au-delà du centre de Tokyo. C’est tombé à soixante minutes », estime un des cadres à la manoeuvre pour réorga­niser le quartier, en pleine verticalisation. Après la tour Cerulean, Mark City et plus récemment Hika­rie, Shibuya se prépare à accueillir sept tours sup­plémentaires.
« Tokyu réalise la moitié du chantier, nous en réalisons un tiers, et les autres se partagent le reste », explique un cadre de JR East. Le promoteur et opérateur fer­roviaire Tokyu, qui a porté la croissance de cette « vallée », depuis sa naissance il y a une centaine d’années, est incontestablement le principal agent de cette transformation. « Nous ne sommes pas le doyen du quartier, nous sommes simplement un des acteurs du quartier », tente de tempérer Ma­sahiro Horie, un des directeurs du groupe Tokyu, rencontré dans l’immeuble étonnamment modeste qui héberge ce titan immobilier. Trop modeste ? C’est à Shibuya que Tokyu a ouvert dès 1934 un des premiers grands magasins intégrés à une gare du pays. Après-guerre et une pluie de bombes américaines plus tard, Tokyu a rapidement rebâti le quartier, un immeuble « iconique » après l’autre. Dans les années 70, Shibuya devint le foyer de la version japonaise de la « contre-culture » qui tra­versait le monde. Puis il fut le lieu de naissance de la culture kawaii, dont le fameux immeuble de shopping 109, cylindrique comme un bâton de rouge à lèvres, est la tour de Babel et le monument historique. Il vit éclore la tribu des filles kogaru et ganguro, jeunes filles outrageusement bronzées, teintes en blondes, au regard coloré par des len­tilles spéciales, mini-jupes et chaussettes d’éco­lière tire-bouchonnantes.

LES ENTREPRENEURS
Enfin Shibuya se rêva en Silicon Valley, rebaptisée Bit Valley pour l’occasion, patrie des start-up et des entrepreneurs dans les années 2000. Selon Tokyu, Shibuya jouit du taux le plus élevé de créations d’entreprise de la ville. Elle se revendique comme une Mecque du loisir et de la culture. « Le slogan Entertainment City Shibuya traduit non seulement l’explosion d’énergie des scènes de spectacles, des salles de cinéma et des salles de concerts, mais la réaction chimique de créativité qui en résulte », explique le groupe Tokyu dans ses brochures. Au­jourd’hui trois millions de personnes transitent par une des huit lignes de chemin de fer ou un des 3121 bus qui convergent vers sa gare.
Le quartier veut aujourd’hui combler le seul défi­cit qu’il se reconnaisse : le manque de bureaux. Malgré sa position de hub, son parc de bureaux ne représente que 6% du total du parc de Tokyo. Il jouit actuellement d’un taux de vacance de 2,34%, tandis que les cinq principaux arrondissements af­fichent un taux de 4,34%. Au terme des travaux en cours par Tokyu, en 2027, Shibuya se sera enrichi de 272.000 mètres carrés de bureaux supplémen­taires. À quoi il faut ajouter les ambitions du pro­moteur Mitsui, qui rouvrira le parc Miyashita sur le modèle de la High line, une barre de verdure sus­pendue qui serpente au-dessus des rues piétonnes de New York. Les grands magasins Parco et Seibu aussi sont en cours de rénovation. Au vrai, on se demande quelle pierre n’est pas retournée, en ce moment, à Shibuya.

LE RETOUR DE GOOGLE
C’est un sacré locataire que Shibuya a réussi à séduire. La plus influente entreprise du monde a annoncé qu’elle déplacera son siège dans le quartier. Un blanc-seing qui devrait entraîner d’autres ralliements dans l’industrie de l'I.T.

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