Thomas Piketty

Thomas Piketty, l'idole des égaux

Thomas Piketty a été fêté lors de sa visite au Japon

Adoration
« Je suis entrée ! », piaffe une jeune journaliste de Fuji TV. La raison de son excitation ? Elle est parvenue à se frayer un chemin dans la conférence de Thomas Piketty à la Maison Franco-Japonaise (MFJ). D'une main, elle serre sa caméra, et de l'autre son exemplaire de la version abrégée en japonais du Capital au XXIe siècle, le livre de l'économiste. Elle peut, en effet, s'estimer heureuse d'être là : les places se sont arrachées en dix minutes.
Piketty, plus fort que Lady Gaga ? L'engouement dont l'économiste a fait l'objet a été délirant durant les quelques jours de sa visite au Japon en janvier. Il a vendu 130.000 exemplaires de son livre pendant les deux premiers mois de sa publication. Il a donné quatorze interviews à la presse japonaise. Dans les izakayas de Tokyo, les Français ne pouvaient plus faire connaissance sans se faire administrer sa théorie économique, selon laquelle les revenus du capital progressent inexorablement plus vite que ceux du travail. Des semaines après sa visite, la presse économique a continué de citer ses travaux. À la Diète, les députés du Parti Démocrate du Japon (PDJ) brandissaient l'ouvrage de l'économiste français pour enfoncer le clou contre les Abenomics, accusés régulièrement d'enrichir les riches en appauvrissant les pauvres. « Thomas Piketty propose de taxer de manière progressive les revenus les plus élevés pour corriger les inégalités. Il pourrait s'entendre avec les bureaucrates du ministère des Finances. Hélas, il n'aime pas la hausse de la TVA », s'amusait le quotidien économique Nikkei. Un diplomate européen raconte : « Les Japonais aisés se plaignent de l'influence de Thomas Piketty sur le débat politique au Japon. Ils lui attribuent une part de responsabilité dans le tour de vis fiscal dont ils font l'objet ! ». L'économiste a, de son côté, "fait le job" : plutôt abrasif avec la communauté française selon plusieurs témoignages, il a été charmant avec les chercheurs japonais pendant son séjour.

Pourquoi un tel engouement?
Thomas Piketty a fait vibrer une corde universelle. De New York à Tokyo, les lecteurs ont reconnu dans son livre la montée structurelle des inégalités dans l'économie mondiale, phénomène qu'ils pressentent, sans pouvoir le démontrer. Si l'étendue de sa recherche historique a été unanimement saluée, les conclusions économiques qu'il en tire ont été plusieurs fois réfutées, de manière parfois spectaculaire, par Lawrence Summers par exemple. « Le travail de Thomas Piketty est en fait un travail de sociologue très brillant et d'une très grande valeur. Mais les formules qu'il en tire sont erronées. C'est comme s'il disait que le cancer cause la tabagie », estime pour sa part l'économiste Richard Katz.
Au Japon, Thomas Piketty a frappé au cœur. L'Archipel a longtemps fait figure de dernier des Mohicans parmi les pays industrialisés, persistant à maintenir un modèle égalitaire, où la quasi-totalité de la population estime, et est heureuse de faire partie de la classe moyenne. Selon les travaux de l'économiste Toshiaki Tachibanaki avec lequel Thomas Piketty dialoguait à la MFJ, ce modèle égalitaire est un mythe. L'écart de richesse entre la jeunesse japonaise qui s'est installée dans le travail précaire et est incapable de constituer un patrimoine, et la génération précédente, encore protégée par d'authentiques contrats de travail, ne cesse de grandir. Pourtant les analyses de Thomas Piketty elles-mêmes montrent que le Japon demeure relativement égalitariste. Selon lui, les fameux « 1% les plus aisés » ne captent « que » 9% de la richesse nationale, contre 9,5% en 2008. D'autres observateurs parviennent à la même conclusion. Selon une étude de Crédit Suisse, le Japon est un pays nettement moins inégalitaire que la France ou les Etats-Unis. Prenant la tranche des « 10% les plus aisés », la banque suisse estime qu'au Japon, elle possède 48,5% des richesses du pays, contre 53,1% pour la France et 74,6% pour les Etats-Unis. À cette aune, le Japon est aujourd'hui, avec la Belgique, un des pays développés les plus égalitaires qui soient.

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