Un jeu d'enfants

Maintenir ou faire progresser la natalité semble hors de portée du gouvernement

Réveil tardif
« C’est trop tard ? » Ce point d’interrogation qui ponctue le cours magistral du démographe Naohiro Ogawa, professeur à l’Université Nihon, est son seul rempart contre le désespoir au sujet de la natalité japonaise. Le Japon a longtemps ignoré sa panne de natalité. L’Archipel est passé en-dessous du taux de remplacement de sa population (2,07 enfants par femme) en 1974 presque sans s’en apercevoir, préoccupé par ses problèmes de pollution et de ralentissement économique. En 1995, ledit taux est passé en-dessous du seuil de 1,5 enfant par femme sous lequel aucune natalité ne s’est jamais relevée. Il est tombé aujourd’hui à 1,42 ; un chiffre officiel probablement en-deçà de la réalité en raison d’un biais statistique selon lequel le ministère de la Santé comptabilise les enfants nés de mère étrangère parmi les enfants japonais, mais pas les mères étrangères parmi les mères. Une observation : la Corée du Sud et la Chine sont aussi dans la seringue. La situation de la Chine, avec un taux semi-officiel de 1,18 enfant par femme, est apocalyptique.
Pourquoi une telle apathie devant un problème tellement capital pour l’avenir du pays ? « La population continuait de croître jusqu’en 2011 grâce à l’allongement de la durée de la vie. D’autre part, dans un pays sans immigration comme le Japon, la question des variations de population est beaucoup moins sensible que dans un pays ouvert comme la France », explique un démographe.
L’avenir n’incite pas à l’optimisme. « 22% des femmes japonaises ne se marieront jamais, et 15% des femmes mariées n’auront pas d’enfants. Résultat : si la situation actuelle ne change pas, 37% des femmes japonaises n’auront pas d’enfants ! », a calculé Naohiro Ogawa.

Envie d’enfants
Les femmes japonaises conservent pourtant un authentique désir d’enfants. Interrogées sur le sujet par les statisticiens, elles répondent invariablement depuis des années que le nombre idéal d’enfants se situe à 2,5 (la moitié des femmes placent ce chiffre à 3 enfants). On observe depuis quelques années une recrudescence des familles nombreuses. Mais globalement, les femmes japonaises font de moins en moins d’enfants. Pourquoi ? Sans doute parce qu’elles sont tiraillées entre deux loyautés : celle envers l’entreprise, qui oblige à de longues heures de travail suivies d’agapes entre clients et collègues (ce que les Japonais appellent la nominication, de nomu, boire, et communication) ; et la loyauté envers la famille, parents âgés ou enfants (quand l’épouse ne doit pas au surplus s’occuper des parents de son mari). « En l’absence de véritable politique nationale de congés maternité, à l’image de celle menée en Australie ou en France, la réconciliation de la carrière professionnelle et de la vie personnelle des femmes qui travaillent est impossible. Beaucoup de mères qui travaillent sombrent dans la dépression car elles n’y arrivent pas », se lamente Naohiro Ogawa. L’enfermement des femmes dans la case « foyer » est assuré par un gouvernement qui souhaite libérer les femmes dans le domaine du travail, mais qui n’a pour l’instant rien fait contre les phénomènes de discrimination salariale, harcèlement personnel et professionnel, etc. Bloquées dans un tel cul-de-sac, de plus en plus de femmes abandonnent leurs ambitions professionnelles. Depuis le choc Lehman en 2008, l’opinion selon laquelle la division traditionnelle des tâches entre l’épouse et le mari est de en plus en plus partagée, alors qu’elle était en constante diminution depuis quarante ans.
En octobre dernier, Shinzo Abe a fait du redressement de la courbe de la natalité l’un des objectifs de son administration. Il a créé à cet effet un ministère de l’Engagement Dynamique des Citoyens dont c’est l’une des missions. « Nous ferons progresser le taux de natalité jusqu’à 1,8 enfant », a-t-il claironné sans préciser à quelle échéance il entendait atteindre ce chiffre. Un chiffre obtenu par des anticipations que les spécialistes du sujet trouvent totalement fantaisistes. Alors « est-ce trop tard ? », professeur Ogawa ? « Le Japon peut peut-être atteindre 1,5 enfant par femme, ce qui retarderait beaucoup le vieillissement de la société. Mais viser 1,8 enfant est irréaliste », estime-t-il.

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