Clémenceau : le Tigre et le Japon

Georges Clémenceau était un des plus fervents admirateurs de la civilisation japonaise. Matthieu Séguéla a mis en lumière cette relation exceptionnelle

Un nouvel ami
Quoi de neuf ? Toujours l'Histoire ! Grâce au travail de l'historien Matthieu Séguéla, le Japon a regagné parmi ses admirateurs l'un des hommes politiques français les plus importants du vingtième siècle  : Georges Clémenceau. « Le Tigre » est, ce printemps, l'objet de plusieurs expositions majeures en France qui retracent sa passion pour l'Asie et en particulier pour le Japon. Il fait aussi l'objet d'un livre, Clémenceau ou la tentation du Japon , toujours de Matthieu Séguéla.
Clémenceau a deux visages. Les Français connaissent bien celui du « défaiseur de ministères » et du « Père la Victoire », qui fit et défit les coalitions au pouvoir durant sa carrière politique de trente ans. Ce visage hante toujours les unes des journaux. Il projette son ombre sur le nouveau Premier ministre Manuel Valls, qui le cite en exemple. Mais les Français connaissent moins bien le visage de Clémenceau de « faiseur de musées », qui laissa à la France le musée de l'Orangerie, le musée d'Ennery et le musée Guimet.
Clémenceau fut un insatiable collectionneur d'art et un extraordinaire pédagogue. Il fut particulièrement attiré par l'art oriental : il y trouvait des démentis aux prétentions de supériorité de la civilisation française sur celles de ses colonies. Pour lui, le « péril jaune » était surtout un péril blanc. Pendant toute sa vie, il réunit des milliers d'objets d'art orientaux, principalement venant du Japon, d'Inde et de Chine. Mais c'est le Japon qui occupe la première place dans son cœur. Estampes, kakemonos (objets suspendus), netsuke, masques, porcelaines, vases, rien n'échappe à sa frénésie hormis, étrangement, les sabres. « En 1893, Clémenceau est battu aux élections. Il vend toute sa collection d'art, sauf ses 2500 kôgô (boîtes destinées à conserver l'encens aux formes et motifs pittoresques). Sa chambre était gardée par deux statues de renard shintô », explique Matthieu Séguéla.

Un grand pédagogue
Clémenceau n'oublie pas le public, et œuvre énormément pour que les Français aient accès aux mêmes merveilles que lui. En 1890, il fait exposer douze estampes japonaises dans l'École des Beaux-Arts. En 1891, il fait acheter par le musée du Louvre deux statuettes de bois laqué représentant des prêtres japonais. Ces statuettes seront les premiers lots de la collection d'un « fonds japonais » dans le prestigieux musée français. En 1893, le Louvre inaugure une « salle dite japonaise » ; mais le résultat déçoit tellement Clémenceau qu'il encourage son amie Clémence d'Ennery, collectionneuse elle aussi d'art asiatique, à ouvrir son propre musée !
La passion de Clémenceau pour le Japon est d'autant plus émouvante qu'elle ne se limite pas à l'art. Plusieurs fois, au cours de ses multiples carrières, il fait un geste inouï vers l'Archipel. Au début de la guerre de 1914, il mène campagne pour que le Japon envoie un contingent se battre aux côtés des Alliés. Le Japon refuse, arguant qu'il doit se concentrer sur ses intérêts directs en Asie. Vieille histoire... Matthieu Séguéla révèle que Clémenceau est aussi le premier à faire écrire un journaliste japonais dans les colonnes de son journal La Justice . Surtout, l'homme d'État a la vision d'un Japon démocratique, phare de l'Asie, après sa transformation profonde concomitante à la restauration de Meiji en 1868. Lui-même est resté aux portes de sa passion. Lorsqu'il entreprend en 1920, à 79 ans, un improbable voyage en Asie, la situation politique l'empêche de se rendre en Chine et au Japon. Il meurt en 1929, alors que le Japon va basculer dans l'autoritarisme, puis la guerre. Il faudra attendre 1945 pour que son rêve se réalise.
Le Japon est un des rares points fixes de la carrière mouvementée de Georges Clémenceau. Mais il ne l'aborda jamais en simple esthète. « Le Tigre » a mêlé inextricablement l'art à sa vie. Il cherchait dans chaque objet un enseignement, une philosophie, un sens. Il disait que l'art l'aidait à « sortir de lui-même ». Jamais telle cause n'a été plus urgente.

Clémenceau, le Tigre et l'Asie , jusqu'au 16 juin 2014. Musée Guimet. Paris. À lire  :
Clémenceau ou la tentation du Japon , de Matthieu Séguéla, éd. CNRS.

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