Désordre et progrès

Nicolas Regaud, conseiller du directeur général de la stratégie au ministère de la Défense

Le Japon veut garantir que l'Asie-Pacifique soit soumise à des règles et non à la loi du plus fort

Réveil de la Russie, toujours en état de guerre technique avec le Japon faute de la signature d’un traité de paix avec ce pays après la Seconde Guerre mondiale ; expansion de la Chine, sur terre et surtout sur mer, qui bouscule le statu quo de la région ; péril nucléaire nord-coréen ; médiocrité des relations avec la Corée du Sud ; imprévisibilité des États-Unis de Donald Trump, toujours garants de la Pax Americana dans cette partie du monde... Les diplomates japonais ne manquent pas de sujets de négociation.

Tsutomu Kikuchi en est convaincu : le maintien de l’ordre en Asie est désormais l’affaire de tous les pays. « Nous devons regarder par-delà le binôme Chine-États-Unis. Nous ne sommes plus dans une époque où deux grandes puissances pouvaient dicter les règles. La Chine et les États-Unis ont des points faibles, externes et internes ; ils ne pourraient garantir l’ordre en Asie-Pacifique à elles seules. Les pays voisins ne sont pas des pions, mais des pivots », explique le professeur de l’Université Aoyama Gakuin. « Ce sont les règles, pas les puissances, qui doivent gouverner l’Asie », martèle Tsutomu Kikuchi. Mais qui pour ordonner ce paysage multilatéral ? Le Japon, veut croire Nobukatsu Kanehara, secrétaire général assistant du cabinet du Premier ministre.L’une des têtes pensantes de la diplomatie japonaise rappelle à quel point son pays, souvent présenté comme un corridor entre l’Est et l’Ouest, est arrimé à sa région. « Pour nous le plus grand changement du 20e siècle est l’ascension de l’Asie. Pas la chute de l’Union Soviétique ou l’élargissement de la puissance américaine. Cette croissance de l’Asie ne se limite pas à celle de la Chine. Elle s’étend jusqu’en Inde et bientôt au Bengladesh », explique-t-il.

ASIATIQUE D’ADOPTION

Le Japon veut jouer, paradoxalement, un rôle de leader en garantissant le statu quo dont il est un des bénéficiaires. Il veut agir comme un contrepoids face à la croissance de la Chine, que les diplomates ne nomment jamais, mais qu’ils ont toujours à l’esprit. Ainsi l’Archipel a-t-il assuré la conclusion d’un accord transpacifique entre onze nations après que Donald Trump ait retiré les États-Unis des négociations au lendemain de son arrivée à la Maison Blanche. « Le Japon s’engagera de plus en plus dans la région, surtout aux côtés des pays petits et des puissances moyennes », promet Tsutomu Kikuchi.

Ainsi le Japon s’est-il rapproché de la France, qui règne sur la deuxième plus vaste zone maritime du monde (et la plus vaste zone sous-maritime au monde). « Une grande partie du territoire maritime français se trouve en Asie » observe Nobukatsu Kanehara. Avant de professer une communauté non seulement d’intérêts, mais de philosophie avec les idéaux européens. « Les valeurs démocratiques ne sont pas étrangères aux Asiatiques. Il y a 2300 ans le philosophe chinois Mencius proclamaitque le gouvernement avait pour but de servir le peuple et non l’inverse. Nous sommes pour l’ordre libéral international », explique-t-il. « Liberté, égalité, fraternité », prononce-t-il en français.

Nicolas Regaud, conseiller du directeur général de la stratégie au ministère de la Défense, appuie ce plaidoyer. « Deux millions de Français vivent et travaillent dans la zone Indo-Pacifique. 8000 soldats y sont postés », explique-t-il.

MARE NOSTRUM

La France « croit aussi à un monde fondé sur des règles. Au multilatéralisme, à l’accès libre aux ressources communes, aux relations commerciales libres, à la résolution pacifique des conflits et non au droit du plus fort », énumère- t-il. Une croyance qui recoupe les intérêts vitaux de pays loin de l’Asie, comme la France. Puisque les missiles nucléaires nord-coréens peuvent désormais atteindre l’Europe comme l’Amérique, toute crise « régionale » a désormais des répercussions mondiales. « La France ne peut rester les bras ballants », conclut Nicolas Regaud.

Depuis 2014, Japon et France tiennent un dialogue annuel « 2+2 » entre les ministres de la Défense et des Affaires Étrangères des deux pays pour approfondir leurs relations sur une vastitude de sujets : échanges de technologie, exercices militaires communs... Les deux nations ont la même attitude à propos de la Nouvelle route de la Soie (Belt & Road initiative) de Pékin, gigantesque programme d’infrastructures qui doit mieux arrimer l’Asie à l’Europe. « Nous sommes tous en faveur de meilleures infrastructures et d’une meilleure connectivité entre les deux continents. Mais nous pensons avec le Japon que ces programmes doivent être menés sur la base de règles, de manière transparente, avec des projets de qualité et sans buts hégémoniques », conclut Nicolas Regaud. À bon entendeur...

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