Edito : L'heure de vérité

Lors de son arrivée au pouvoir en décembre 2012, Shinzo Abe avait stupéfait le monde en lançant la politique économique qui porte désormais son nom : lesAbenomics. Le Premier ministre souhaitait combiner un assouplissement de la politique monétaire japonaise, un plan de relance publique, et des réformes structurelles. Il avait rallié autour de lui, dans l’enthousiasme, une improbable coalition de nationalistes japonais et d’investisseurs étrangers. Car le monde entier - et c’est un formidable atout - prie toujours pour que le Japon réussisse.

Près de deux ans après l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe, le bilan de cette politique est, au mieux, mitigé. Le gouvernement peut être crédité d’avoir réhabilité l’audace et l’imagination en politique dans un pays (un monde ?) en apparence encalminé depuis vingt-cinq ans. Il a replacé, un temps, le Japon au cœur de tous les débats. Mais pour l’emmener où ? L’économie est entrée en inflation, mais au détriment des salariés, dont la paie augmente beaucoup moins vite (+0,7% sur un an en juillet) que les prix à la consommation (+3,4% en juillet). Cette tendance s’ajoute à la baisse, désormais mécanique, du nombre de travailleurs (la population active recule actuellement de 550.000 personnes par an). L’investissement demeure à l’arrêt. Les entreprises se défient d’un marché intérieur qui rétrécit sans cesse en volume et en valeur, et le salut ne vient plus, cette fois, de l’étranger. Les exportations n’ont pas progressé en volume malgré la forte baisse du yen, signe du recul de la compétitivité internationale de l’Archipel.

Le plus préoccupant est la lenteur des réformes structurelles promises par le gouvernement Abe. L’assouplissement monétaire et le plan de relance publique devaient permettre d’absorber un « choc de déréglementation » (la fameuse « troisième flèche ») dans l’économie. Dans plusieurs secteurs, les investisseurs constatent des progrès impressionnants. À la Bourse, les entreprises ont adopté un « code de gouvernance » au bénéfice de l’actionnaire qui produit déjà ses effets. Dans la santé, le délai d’homologation des médicaments, vieille pomme de discorde entre le Japon et les autres pays développés, a déjà fortement réduit. Mais depuis deux ans, force est de constater que ce choc général, qui était la partie la plus difficile de l’agenda Abe, n’a pas eu lieu. Où est la réforme bancaire ? Où est la réforme agricole ?

La confiance, cette étoupe des Abenomics, est en train de manquer. Les Japonais y croient de moins en moins, tout comme les investisseurs internationaux. « On parle de changer la fiscalité des entreprises pour encourager l’investissement, mais rien ne se passe. On parle de contrôler les dépenses sociales, mais rien ne se passe. On parle de réformer le marché du travail, mais rien ne se passe », se lamente l’économiste Robert Feldman, enthousiaste défenseur des Abenomics... jusqu’à maintenant.

L’expérience Abenomics n’est pas terminée. Elle a valeur d’enseignement pour l’Europe et la France, qui cherchent leur propre voie hors de la crise en observant « l’expérience japonaise ». Comme toujours, cette déception est aussi une source d’opportunités pour les entreprises étrangères. Elle réduit considérablement les coûts de prospection et d’implantation des entreprises. Elle force les Japonais à se tourner vers de nouvelles solutions. Le Japon a essuyé plusieurs chocs très durs en vingt ans.

Pendant ces vingt ans, le stock d’investissement direct étranger a aussi été multiplié par sept.

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