Gerald Curtis et le nouveau PLD

Le 16 septembre 2009, le Parti Démocrate du Japon (PDJ) ravissait le pouvoir au Parti Libéral Démocrate (PLD), engageant le Japon dans sa première véritable alternance politique. Trois ans et trois Premiers ministres plus tard, les électeurs lui ont déjà préféré son prédécesseur. Le grand politologue Gerald Curtis, de l’Université Columbia, nous aide à y voir clair.

Avez-vous cru en l’alternance politique en 2009 ?
J’ai pensé que c’était un grand changement, qui changerait le PLD lui-même. C’était beaucoup plus profond que la « fausse alternance » du gouvernement Murayama (1994), un socialiste dirigé en sous-main par le PLD. Pourtant, ça n’a pas marché. Et nous revoilà au même point qu’il y a trois ans. Le PDJ s’est révélé trop optimiste. Ils n’ont pas compris qu’il ne suffisait pas d’arriver au pouvoir et de claquer des doigts. Ils n’avaient pas d’expérience, et cela s’est vu.

Pensez-vous que la posture nationaliste de Shinzo Abe est dangereuse pour le Japon ?
Si on se fie à son action lors de son premier séjour au pouvoir, on peut espérer que son sens du réalisme fasse contrepoids à son idéologie. À l’époque, son premier voyage à l’étranger a été pour la Chine. Et il n’est pas allé au sanctuaire Yasukuni. Mais ses marottes n’ont pas changé : il veut une révision constitutionnelle, une injection de patriotisme dans l’éducation et une ligne intransigeante sur la question des frontières maritimes. S’il pense que le peuple est maintenant prêt à le suivre, il se radicalisera.

Vous pensez que l’opinion publique japonaise est devenue plus nationaliste ? Oui, mais pas au point de se confronter à la Chine et de souhaiter une hausse du budget de la Défense. Les Japonais ne veulent pas partir en guerre pour trois cailloux. Le PDJ joue actuellement son rôle d’opposant en rappelant que la xénophobie est dangereuse.

La politique japonaise est si désespérante qu’on se demande si on ne devrait pas se concentrer sur l’étude de l’administration.
Ce sont les hommes politiques qui ont, même au Japon, le dernier mot. Si l’administration avait le dernier mot, les comptes de l’État seraient à l’équilibre. Regardez l’obstruction au TPP : elle est le fait des hommes politiques, pas des fonctionnaires. Mais les hommes politiques ne peuvent pas comme l’a fait le PDJ, insulter les fonctionnaires et penser que leurs réformes aboutiront. Il faut le soutien de l’administration, surtout dans un pays où les hommes politiques n’ont ni budget, ni personnel.

La communauté d’affaires semble heureuse d’un retour du PLD.
Shinzo Abe a mis le feu aux poudres en parlant de tordre le bras de la Banque du Japon pour qu’elle adopte une politique monétaire laxiste. Aucun gouverneur qui se respecte ne va suivre à la lettre les instructions de son gouvernement. La BoJ est une institution indépendante et il aurait tort de l’oublier. Au fond, il semble faire ce qu’il faisait déjà lors de son premier passage au pouvoir : adopter une position extrême, puis, au vu de la polémique qu’il suscite, se déplacer vers le centre, décevant tout le monde au passage.
En dépit d’internet au fond, la politique demeure un métier « local ». On ne vote que dans son pays. Shinzo Abe arrive au pouvoir chargé de l’histoire du Japon et de celle de son grand-père Nobusuke Kishii, qui souhaitait un pouvoir militaire fort et effacer la part pacifiste de la Constitution.

Finalement, quel est le bilan du PDJ après trois ans de pouvoir ?
Cent membres du PDJ ont accédé aux responsabilités. Cela veut dire que pour la première fois aujourd’hui, une opposition qui a l’expérience du pouvoir est en place. Cela se traduira par une sophistication du débat politique dans ce pays. Le PDJ deviendra plus cohérent, plus uni. Ces hommes politiques sortent d’un stage au pouvoir de trois ans. À long terme, ce stage portera ses fruits.

Êtes-vous encore optimiste ?
Cette société est si forte qu’on peut penser que viendra bien un moment où la politique se mettra à son niveau. C’est juste si long… Chaque semaine éclot un nouveau parti. Tout ça ne va pas en s’améliorant. Ils repoussent tant de décisions importantes.

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