Le facteur humain
Les robots peuvent résoudre le problème du Japon. À condition de mieux former les humains.
Depuis un siècle l’examen d’entrée de l’Université de Tokyo (Tôdaï) est le sésame de l’élite japonaise. Ces chères têtes brunes vont bientôt composer avec une nouvelle espèce de candidats : les robots. Depuis 2011, une poignée de chercheurs s’escrime à faire bûcher un robot pour qu’il réussisse les épreuves (écrites et orales) dès 2025.
Un projet qui montre les extraordinaires progrès réalisés par l’intelligence artificielle en dix ans. En 2004, on croyait l’automobile autonome impossible ; dès 2010 Google a sorti une Toyota Prius « autonomisée » . Watson, le robot réalisé par IBM, est entré dans l’Histoire en battant les humains au jeu de questions-réponses Jeopardy en 2011. D’où une question vertigineuse : si même les tâches intellectuelles peuvent être remplies par les robots, combien de tâches auront encore besoin d’humains en 2030 ?
La réponse : très peu. Déjà finis les « demoiselles du téléphone » chères à Proust, les agents de réservations et les caissiers. Demain finis les chauffeurs de taxis, les femmes de ménage, les cuisiniers et les actuaires. Plus besoin de chirurgiens, sujets à la fatigue, dont les mains peuvent trembler. D’archivistes. De recruteurs. De livreurs. Presque plus besoin de policiers, puisque les infractions deviennent automatiquement détectables. Finis les journalistes... Même les artistes ne sont pas à l’abri : depuis 1973, le logiciel Aaron peint ; et Le logiciel Emi compose de la musique depuis 1981. « Les humains progressant de manière linéaire et les machines de manière exponentielle, la lutte semble perdue d’avance », s’amuse l’analyste Jérémie Capron, de CLSA. Les seuls métiers à l’abri seront ceux qui nécessitent des contacts humains (un acte de vente par exemple) et ceux qui requièrent une bonne dose d’originalité.
La sortie de l’usine
La conquête a commencé par les usines. Des trois grandes catégories de robots - industriels, de service, de loisirs –, la première est de loin la plus nombreuse et « celle qui concentre le plus de valeur », oberve Morten Paulsen, qui couvre le secteur pour CLSA à Tokyo. Deux des leaders mondiaux du secteur sont japonais (Fanuc et Yaskawa) et le ticket d’entrée de cette industrie robotique est si élevé que la concurrence ne se fait pas sur les coûts de production. « Fanuc produit autant de robots en une semaine que le leader chinois en un mois », résume Morten Paulsen. Et ça n’est qu’un début. Cette catégorie est encore sous-peuplée : on compte en moyenne mondiale selon l’International Federation of Robotics (IFR) 50 robots pour 10.000 emplois manufacturiers. Le Japon a le ratio le plus élevé au monde, avec 314 robots pour 10.000 emplois manufacturiers. Un faible taux de pénétration qui s’explique par le haut coût d’intégration d’un robot dans une usine (il faut le programmer et adapter son espace de travail spécifiquement). Mais un taux en progression constante (il est déjà de 10% dans l’automobile). Car les robots sont par nature des employés modèles. Non seulement ils ne touchent pas de paie, mais leur coût baisse de 10% par an selon l’IFR. Ils ne font pas grève et, surtout, ne sont pas distraits par des considérations extérieures à leur fonction d’utilité. « Selon une étude les verdicts des magistrats israéliens sont plus cléments après une pause déjeuner qu’à un autre moment de la journée » observe avec sagacité le chercheur en robotique Michaël Osborne, de l’Université d’Oxford, pour illustrer la fragilité de l’homme.
La proportion de robots de service est celle qui verra le plus de progrès dans l’avenir. Elle prend déjà la forme de « co-robots » ou « robots collaborateurs », ces assistants mécano-électroniques qui font petit à petit leur apparition dans nos vies quotidiennes. Les pionniers de ce secteur, le danois Universal Robot et l’américain Rethink Robotics, ont été rapidement rejoints par le japonais Fanuc, qui a annoncé quatre modèles en un an. Les robots de loisirs, dont l’ambassadeur est aujourd’hui le fameux Pepper, créé par le Français Aldebaran et racheté par Softbank, demeurent une petite partie du marché.
Un sujet japonais
L’étude l’impact de la robotique sur la population active japonaise est passionnant. Le parc japonais de robots, avec 296.000 machines (19% du parc mondial), est le plus peuplé du monde. Mais le Japon est aussi un des pays dont la population active est la plus menacée par les machines. En 2013 les chercheurs Carl Frey et Michaël Osborne publiaient une étude retentissante selon laquelle 47% des emplois aux États-Unis pourraient être occupés par des robots. Trois ans plus tard, dans un article paru dans le Nikkei, ils affirment que l’impact au Japon sera encore plus fort : 49% des emplois sont en jeu. Trop de Japonais effectuent des tâches qui pourraient être automatisées. L’absence de nouveaux entrants dans l’économie, le soutien des banques à des groupes déclinants (les fameux « zombies »), une législation du travail trop protectrice du salarié ont freiné l’automatisation de l’économie.
Mais les robots peuvent aussi tirer le Japon de l’ornière en réglant la pénurie de main d’œuvre du pays. Dans l’agriculture, ils peuvent se charger de toutes les tâches physiquement éreintantes ; dans la santé, ils pourront surveiller, analyser et aider les personnes fragiles ; dans la défense, qui a d’énormes problèmes de coûts de personnel, ils exécuteront les tâches dangereuses et mécaniques, comme le fait déjà l’armée américaine.
Cette révolution n’est pas sans risque. Elle crée des inégalités en s’attaquant non plus aux tâches de base, mais à la plupart des emplois semi-qualifiés assurés d’ordinaire par la classe moyenne. « Le Japon doit former sa main d’œuvre à des tâches à l’abri de risques d’automatisation, soit des tâches qui requièrent un mélange de créativité et d’empathie : infirmière, magistrat, professeur d’université...», écrit Michaël Osborne. La balle est dans le camp du politique.
Moi, robot
Date de naissance : 1961
Espérance de vie : 12 ans
Population mondiale : 1,2 million
Croissance de population par an : 8%
Lieux de vie : Japon, Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Allemagne