Le Japon, génie caché de l'intelligence artificielle
Pour Jérémie Capron du fonds Roboglobal, « les Japonais demeurent les maîtres du composant à haute technologie ».
Vous rentrez du forum CES à Las Vegas.Quelle est votre impression de la présence japonaise sur l’intelligence artificielle ?
Le vrai domaine d’excellence des Japonais demeure les composants à très haute technologie. Dans certains secteurs, ils ont constitué des oligopoles à l’échelle de la planète sur des pièces clé. Au point qu’aujourd’hui la robotique industrielle voit sa croissance faiblir parce que les fabricants japonais de certaines pièces clé ne parviennent pas à répondre à la demande. C’est le cas de Nabtesco et d’Harmonic Drive sur les réducteurs de vitesse ou de THK sur les actuateurs. De leur côté les Japonais SMC et CKD contrôlent une partie de la fabrication des valves pneumatiques qui assurent le mouvement des pièces mécaniques des robots ; les Taiwanais d’Airtac ont essayé de les chatouiller un peu avec une offre de produits un peu moins performants mais nettement moins chers, mais les Japonais se sont ressaisis. Keyence enfin est une sorte d’Apple japonais.Comme lui, ils ont abandonné la production - ce que ne font presque jamais les Japonais - dans les années 90 pour se concentrer sur l’innovation et la vente. Ils dégagent un bénéfice d’exploitation de 40% ! Ils se sont concentrés sur l’équipement pour l’usine de demain : l’usine numérique. Pour elle, Keyence fabrique les capteurs optiques qui permettent d’inspecter les composants électroniques.C’est probablement la plus belle entreprise que j’aie analysée de ma carrière : croissance, innovation, marge,retour sur investissement...
Qu’est-ce que l’usine numérique ?
Une usine intelligente, agile, dans laquelle travaillent simultanément une multitude de lignes de production qui peuvent s’adapter aux fluctuations de la demande. Une usine qui surveille les étapes de la production, relève les données de consommation électrique, productivité, etc. Bref une révolution par rapport aux lignes de production linéaire que connaît l’industrie manufacturière depuis Henri Ford.
Les Japonais sont-ils menacés par la montée en importance du logiciel dans le manufacturier ?
Il est certain qu’aucun acteur mondial du logiciel n’a jamais émergé du Japon, hormis dans le domaine des jeux vidéo. Mais les Japonais travaillent sur la question. Fanuc par exemple développe une plateforme de services avec Rockwell, Cisco et Preferred Networks pour concurrencer une offre similaire de Siemens.
D’autres entreprises ?
Vous allez entendre parler de Daifuku, leader mondial des systèmes d’automatisation d’entrepôts. La gestion des entrepôts est un secteur très fragmenté, occupé par de petits acteurs. Ce secteur explose en raison d’énormes besoins en logistique tirés par l’avènement du commerce en ligne (qui représente 10% du commerce mondial, mais 20% de croissance chaque année). Les transporteurs investissent énormément dans l’automatisation, comme par exemple UPS (2 milliards d’investissement en 2014, 4 milliards en 2017). Les acteurs japonais sont en train de consolider le secteur à l’échelle mondiale. Autre société très intéressante : Toyota Tsusho, qui fabrique les meilleurs chariots élévateurs du monde ! C