Le Japon carbure à l'hydrogène

Le Japon carbure à l'hydrogène

L’Archipel croit à cette énergie

ENTHOUSIASME

« C’est ici que ça se passe ! » : Arnaud Vasquez s’émerveille comme un enfant dans une boutique de confiseries parmi les exposants de la peu affrio­lante World Smart Energy Week de Tokyo. Cet ancien capitaine au long cours a jeté sa défroque de com­mandant de bord aux orties pour fonder Hyseas Energy, une start-up qui développera peut-être la pile à combustible dont le transport maritime ne rêve pas encore. Plus loin, Pierre Forté, président-fondateur de Pragma industries, vante le vélo à hydrogène avec lequel il roule sur les routes du Pays Basque, où son entreprise est domiciliée. Dans une gigantesque salle de séminaire non loin de là, Masayoshi Yamakage, directeur du bureau stratégique Hydrogène et piles à combustible du ministère de l’industrie, le directif METI, vient de conclure le keynote speech du Salon devant un parterre d’industriels de tous horizons acquis comme des ouailles à la messe. Le titre ? Vers une société de lhydrogène. « Les grands choix énergétiques se jouent en Chine, en Corée du sud et au Japon. Et sur l’hydrogène, le Japon est en tête » explique Arnaud Vasquez.

Il a raison : l’Archipel donne le cap pour cette énergie. Les industriels y engloutissent déjà des fortunes, soutenus par les pouvoirs publics et surtout le Pre­mier ministre, de tous les photo-call sur le sujet. L’hydrogène sera la technologie mise en avant par le pays lors des Jeux olympiques à Tokyo en 2020, avec une centaine de bus en circulation dans la capi­tale durant les épreuves. La même année Kawasaki Heavy (KHI) transportera par bateau, d’un terminal portuaire construit à cet effet sur la côte australienne, de l’hydrogène liquéfié fabriqué à partir d’énergies fossiles, jusqu’au Japon, à la manière d’un gazier. Et tant pis si l’État est endetté à 250%...

L’ÉNERGIE DES DÉBUTS

La popularisation de l’hydrogène au Japon n’est pas, c’est une litote, achevée. Pour l’instant seule­ment 2400 véhicules équipés de piles à combustible roulent sur les routes du pays, mais le gouverne­ment table sur 200.000 unités en 2025 ; le pays ne compte que 101 stations-service dédiées, et en vise 320 dans sept ans. Le gouvernement pointe le succès des “Ene-farms”, ces 250.000 chaudières de cogé­nération installées à la demande sur les nouveaux foyers nippons ; mais même dopées aux subventions, leurs ventes s’effritent (-17% en 2017).

Les Cassandres raillent déjà ce choix du Japon. Le médiatique Elon Musk, fondateur de Tesla, a fait de l’hydrogène sa tête de Turc. L’Archipel n’en a cure, déroulant des objectifs à 2030 et 2050. Pourquoi l’Archipel mise-t-il tant sur cette énergie ? Outre ses qualités intrinsèques (transportable, stockable, « disponible dans les trois quarts de l’univers connu » comme le précise avec une certaine poésie un ingénieur), cette énergie a le don d’en insuffler (de l’énergie) au complexe industriel nippon tout entier. Elle nécessite la pose d’une infrastructure complète, nouvelle, qui fait travailler tous les mail­lons de l’extraordinaire appareil productif japonais. Et met en jeu ses qualités de manufacturier “zéro défaut”. « L’hydrogène est composé d’atomes très petits, ce qui nécessite une infrastructure extraor­dinairement fiable. Rares sont les nations capables de la construire. Les Japonais en sont capables », assure Richard Schomberg, vice-président du groupe “Smart Energy Standard” d’EDF, un des orateurs de référence du forum. « Nous faisions les pompes à essence du pays, maintenant nous fabriquons celles à hydrogène. Pour nous c’est déjà un secteur impor­tant », résume Naotake Moriizumi, en charge de ce secteur chez Tatsuno, numéro un nippon de la distribution de carburant. De même, KHI voit dans les futurs bateaux transportant de l’hydrogène les successeurs des gaziers qu’il fabrique depuis trente ans. Le Japon dispose aussi de formidables avocats, chez lui et à l’étranger. « Le Japon a choisi l’hydro­gène car Toyota a choisi l’hydrogène », résume un industriel du secteur. La parole du géant de Nagoya porte : il est le seul à être parvenu à avoir imposé la voiture hybride « et il gagne vraiment de l’argent avec ! », explique Roger Schreffler, qui couvre le Japon pour le magazine automobile WARDS.

ALLEMAGNE ET ÉTATS-UNIS

Cette énergie a aussi séduit des acteurs de premier rang dans ces autres champions industriels que sont l’Allemagne et les États-Unis. « Quand Jack Welch, le mythique patron de GE a visité le Japon il y a trente ans, il est rentré aux États-Unis en disant : « Nous devons adopter la mentalité « Shinkansen et objectifs », et abattre les obstacles un à un ! », martèle Sunita Satyapal, en charge du bureau des piles à combustible au Department of Energy (DoE) américain. « Nous avons fondé le DoE en réponse au choc pétrolier et avons très vite travaillé sur l’hydro­gène. Et nous assistons aujourd’hui à la naissance d’une industrie viable. L’hydrogène permettra des pas de géant dans la réduction des émissions de CO2 », abonde Klaus Bonhoff, au comité d’administration de NOW, l’institut public qui pilote le déploiement de l’infrastructure d’hydrogène en Allemagne. Mercedes a de son côté fait une présentation dithyrambique de cette énergie.

Pour la plupart des personnes interrogées à Tokyo, l’hydrogène fera forcément partie d’une panoplie de solutions d’avenir, des énergies fossiles propres aux lithium-air. « Il faut arrêter de considérer l’hy­drogène comme une énergie, mais plutôt comme un vecteur capable de stocker et de transporter d’autres énergies », explique Masayoshi Yamakage. L’idée : transformer en hydrogène les joules produits à partir d’éolien, de solaire ou de biomasse pour les stocker et les transporter avant usage.

Mais le Japon est aussi son pire ennemi. La même bureaucratie chargée de promouvoir l’usage de cette énergie lui met des bâtons dans les roues en l’ac­cablant de formalités tatillonnes qui renchérissent son coût : interdiction des stations self-service par exemple quand elles sont une réalité dans d’autres pays (l’Allemagne par exemple). « L’hydrogène nous coûte 100 yens par mètre cube. Nous voulons re­descendre à 30 yens en 2030 », explique Masayoshi Yamakage. Avant de conclure : « Je suis allé l’autre jour à un concert du groupe de rock Lunacy. La guitare électrique marchait à l’hydrogène. Le son était top ».

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