Amis comme bouchers

Voyage aller
La même passion de la viande les a réunis, même s’ils pratiquent leur métier de manière totalement différente. En 2013, le boucher français Yves-Marie le Bourdonnec donne une master class à l’école Le Cordon Bleu de Dakanyama. Sa visite fait grand bruit dans la profession au Japon. Un an plus tard, Yoshinobu Niiho, un boucher de Kyoto, demande à lui rendre visite en France. « Je suis allé en France par curiosité. Mon principal client est un restaurateur japonais qui avait étudié en France, et il m’avait conseillé d’aller voir. Ce pays a la plus grande variété de races bovines au monde. Il produit plutôt des viandes maigres, tandis que le Japon produit des viandes grasses », explique le boucher japonais. « En France, on sert la viande en gros morceaux. Au Japon, on coupe la viande en lamelles pour un sukiyaki ou un shabu shabu. La viande est grasse, car elle est énergétique. Elle est en quelque sorte un condiment aux légumes, pas un mets principal. Cette manière de concentrer l’énergie sur le moins de matière possible est aussi la traduction de la restriction de l’espace d’élevage japonais. Nous avons 10.000 mètres carrés par bête en France, tandis que le Japon n’en a que 100 ! Un hectare d’élevage coûte 180.000 euros au Japon, contre 2000 en France. Et pourtant, ils ont une grande industrie de la viande. Le Japon est le pays des extrêmes », observe son collègue français.

Voyage retour
La rencontre se passe si bien qu’Yves-Marie le Bourdonnec lui rend la pareille. En janvier dernier, il part à Kyoto donner une master class, et découvrir le cheptel nippon. Il retrouve dans son voyage les vertus du Japon que soulignent tous les voyageurs : « J’adore travailler avec les Japonais. Ils ont un grand sens du geste technique. Ils sont très précis, ce qui facilite la transmission du savoir », observe-t-il. Mais surtout, Yves-Marie Le Bourdonnec veut apprendre des Japonais pour poursuivre son travail sur la filière française, qu’il estime en crise. « La filière française va très mal. Nous sommes en train de tuer nos éleveurs. 80% de leurs revenus viennent des subventions européennes. Et en plus, il y a une crise des vocations. Nous sommes encore dans un modèle pensé dans les années 70, avec une viande qui a un fort volume musculaire. Bien que nous ayons une très grande variété de races, nous n’en exportons que trois (Limousine, Charolaise, Blonde d’Aquitaine), que nous élevons de loin, hors-sol, en délaissant le paysage dans lequel doit vivre l’animal. Nous avons assez pour être autosuffisant, et pourtant nous importons un tiers de notre consommation. C’est absurde. »

Retour aux sources
Pour contrer cette « course au volume », Yves-Marie Le Bourdonnec plaide pour réinstaller les bêtes dans leur paysage. Une démarche qu’il a retrouvé chez les fournisseurs de Yoshinobu Niiho, encore élevés avec du saké, le dos frotté à la paille de riz. « Cette viande a un goût fleuri, elle contient le paysage dans laquelle elle a été élevée », s’émerveille le Français. Le boucher japonais doit prochainement rendre une nouvelle fois visite à Yves-Marie Le Bourdonnec, cette fois à la tête d’une délégation d’une quinzaine de bouchers.

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