Péril Révisionniste

Le premier Ministre Shinzo Abe veut réviser la Constitution. Dans un avant-projet paru en avril 2012, le PLD, majoritaire, souhaitait non seulement amender son Article « pacifiste » 9, mais aussi revenir sur une partie des libertés publiques garanties par la Loi fondamentale. Figure majeure des relations franco-japonaises, le constitutionnaliste Yoichi Higuchi, de l'Université de Tokyo, tire la sonnette d'alarme.

Que penser du projet de révision constitutionnelle du Parti Libéral Démocrate ?
Ce projet est rien moins qu’une nouvelle Weltanschauung, une nouvelle vision du monde. Il veut certes changer l’article 9, qui fonde le pacifisme constitutionnel du Japon. Mais il y a plus. Il veut renoncer à la vocation universaliste de la Constitution, établissant en quelque sorte une démocratie a la japonaise, comme il y aurait une démocratie à la chinoise, à l’égyptienne... Exemple : la liberté d’expression. Dans l’article 21, la liberté d’expression est érigée en principe sous lequel peuvent être ménagées des exceptions par la loi. Le projet du PLD rajoute un alinéa à l’article 21, qui limite cette liberté « quand elle va contre l’intérêt public et l’ordre public ». En d’autres termes, le principe et son exception se retrouvent sur le même plan. Le PLD dit que la révision fera du Japon un pays « normal ». Mais ce projet ne serait considéré comme normal dans aucune démocratie développée.
Il y a eu plus d'une dizaine de projets de révision constitutionnelle depuis 1947. Dans les années 80, le premier Ministre Yasuhiro Nakasone s'était rendu au temple Yasukuni et a songé à une révision ; mais il a cessé tout cela au motif que sa démarche gênait son homologue chinois « éclairé » Hu Yaobang. Voilà l'exemple d'une grande sagesse !
Ce dernier projet est différent. Il n’est pas excessif d’affirmer qu’actuellement, l’équivalent de Jean-Marie Le Pen est au pouvoir au Japon. Le PLD n’est plus le parti « conservateur ». C’est un parti nationaliste-radical, de ce qu’on appellerait en France l’extrême-droite décomplexée, ignorante de l’Histoire et honteuse de l’histoire moderne de son pays.
Prenez ce mythe : l’idée que la Constitution japonaise aurait été imposée au pays. Qu’elle ait été imposée aux dirigeants de l’époque, bien sûr. Mais il faut tout dire, et rappeler qu’elle a aussi été imposée par les Américains à leurs propres alliés russes, australiens ou néo-zélandais qui étaient beaucoup moins bienveillants a l’égard des Japonais, et qui ne voulaient pas de la Maison Impériale dans le paysage politique.  

L'opinion publique demeure-t-elle attachée à l'article 9 ?
Oui. L’existence même des forces d’Auto-défense a fait débat au Japon. L’opinion publique apprécie les forces d’Auto-Défense. Elle n’est pas pour autant prête à jeter aux orties l’article 9. C’est l’article 9 qui a empêché le Japon de joindre la coalition américaine dans la guerre en Irak. Il n’a pas besoin d’être changé pour assurer la défense des Senkaku.

Et le sujet des libertés publiques ?
Le seul sujet, le premier sujet pour l’opinion, c’est la guerre. Cela est naturel et légitime, mais regrettable, comme pour la liberté d’expression.

N'est-il pas paradoxal pour les nationalistes comme Shinzo Abe d'être les plus fervents partisans de l'alliance avec l'Amérique ?
C'est le grand paradoxe. Shinzo Abe récuse la validité du tribunal militaire de 1945, et prône pourtant de renforcer l’alliance. Autre paradoxe : celui de la mémoire. Ainsi sur la question des femmes de réconfort : comme Le Pen trouve que les chambres a gaz sont un détail de l’Histoire, Shinzo Abe estime que la prostitution organisée pour subvenir aux besoins sexuels de l’Armée Impériale était un détail, alors que ses amis se paient des publicités entières dans les journaux américains pour nier l'implication de l'Armée.

Autre paradoxe, les Japonais ne cessent de s'excuser pour la Seconde guerre mondiale, et leurs victimes ne cessent de demander plus.
Les leaders japonais font des excuses. Mais les opinions dissidentes de la majorité provoquent un écho à l’étranger, et ruinent ces efforts. Les Japonais ont de la compassion pour les souffrances des victimes de l’Armée Impériale. Mais ils ne trouvent pas dans leur classe politique un Willy Brandt ou un Richard Von Weiszäcker. Pour sortir de cette impasse, le Japon doit renouveler ses excuses tout en condamnant Tiananmen et l'oppression du Tibet.
Ma génération n’est pas dupe. J’avais dix ans quand la guerre s’est terminée. J’en garde un souvenir vivace. L’école reproduisait la hiérarchie de l’armée. L’intelligence ne comptait pour rien, seule l’aptitude physique et la capacité à obéir comptaient.

Comment convaincre ?
Je prépare un petit livre, à paraître en mai, dans lequel je rappellerai aux Japonais leur Histoire. Le Japon a incontestablement une tradition démocratique. Elle est d’ailleurs mentionnée dans la Déclaration de Potsdam du 26 juillet 1945, dans laquelle les Alliés définissent les termes de la capitulation future du Japon : « Le gouvernement du Japon enlèvera tous les obstacles a la renaissance et au renforcement des inclinaisons démocratiques du peuple japonais ».

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