Ali Ordoobadi (Ichikoh)
Ali Ordoobadi : Ichikoh a redémarré
C’est un des trois Français, avec Carlos Ghosn (Nissan) et Christophe Weber (Takeda), à diriger une entreprise japonaise cotée en Bourse. Très discret,
Ali Ordoobadi revient pour la première fois sur ses premières années à la tête d’Ichikoh, un des grands mondiaux de l’éclairage automobile
Depuis quatre ans, vous demeurez très discret dans les médias. Pourquoi ?
Ichikoh était dans une situation commerciale et financière difficile quand je suis arrivé. Aujourd’hui, ça commence à aller mieux.
Présentez-nous Ichikoh.
Ichikoh est un des leaders mondiaux de l’éclairage (phares, feux arrière, éclairage intérieur,...) et des rétroviseurs. Elle est très présente dans les centres automobiles sur le segment de la « deuxième monte » (pièces de rechange). Nos deux axes sont : sécurité et visibilité. C’est une société ancienne de 111 ans, qui a commencé avec l’éclairage ferroviaire. Elle est très réputée dans l’industrie automobile pour son sens de l’innovation et son histoire. Ichikoh fut, par exemple, la première société à vendre des rétroviseurs extérieurs pliables - une invention née de l’exiguïté des parkings japonais.
Ichikoh a longtemps fait partie du keiretsu Nissan avant que ce dernier revende 20% de la société à Valeo. Aujourd’hui, Valeo en possède 32%. Après avoir été directeur général de Valeo Japan, j’ai été nommé directeur général d’Ichikoh.
Koito, Stanley et Ichikoh... Pourquoi y a-t-il si peu d’acteurs sur le segment du phare ?
Quand j’étais jeune, un phare consistait en un assemblage de tôle emboutie et de verre rond avec une ampoule au milieu. C’est devenu un produit très sophistiqué, avec plastique et électronique, qui doit respecter des normes réglementaires strictes. Surtout, c’est un équipement dont le design est très important, car c’est la première chose qu’on voit d’une voiture. Sur un phare, un défaut se repère immédiatement. Les designers de phare voyagent dans le monde entier pour comprendre les futures tendances de leur industrie.
Le phare est aussi le premier produit qui se casse dans les accidents. Nous devons donc être prêts à fournir les garagistes le plus rapidement possible. Les automobilistes n’aiment pas que leur voiture soit longtemps immobilisée.
Dans quel état avez-vous trouvé Ichikoh à votre arrivée ?
Durant les sept exercices de 2006 à 2012, nos ventes avaient baissé. Depuis 2013, elles augmentent chaque année. Pourquoi ? La qualité de nos produits avait baissé, et nos coûts de production étaient trop élevés. Nous avons donc mis en place des outils de mesure de la qualité très stricts, avec un objectif d’amélioration permanente. Je me suis beaucoup inspiré des « cinq axes de l’excellence opérationnelle » en vigueur chez Valeo : qualité totale, innovation constante, intégration des fournisseurs, système de production optimisé et implication du personnel.
D’autre part, Ichikoh demeurait traumatisé par sa sortie du keiretsu Nissan, qui l’obligeait à devenir indépendant, et par conséquent plus compétitif. Nous devions nous atteler à comprendre les clients, en particulier tous nos nouveaux clients japonais et non japonais. Nous les interrogeons régulièrement et tenons compte de leurs réactions.
Comment parvenez-vous à augmenter vos ventes sur le marché japonais, dont la taille baisse toujours ?
Quand je suis arrivé chez Ichikoh, je suis d’abord allé voir le président du syndicat. Je me suis étonné, avec lui, du fait que nos ventes baissaient au Japon. Avec mon équipe, nous sommes partis de ce constat, avons étudié le marché et conclu qu’on pouvait croître aussi ici. À l’époque, on ne jurait que par la Chine et autres payslow-cost. Aujourd’hui, nos clients préfèrent acheter au Japon. Il est vrai que nous sommes sur un marché structurellement en baisse, avec une population qui vieillit et qui diminue. Mais nous pouvons aider les constructeurs, par exemple en leur donnant des conseils d’innovation et de design qui rendront leurs voitures plus attrayantes. Vous savez que le phare est la partie de la voiture que 20% des acheteurs d’automobile regardent en premier ?
L’industrie automobile japonaise est en train de se délocaliser, mais Ichikoh a fait le pari ces dernières années d’investir au Japon. Pourquoi ?
Nous sortons d’une période difficile, qui nous a obligés à réduire nos effectifs, où tous les employés ont dû faire des efforts, durant laquelle nous avons eu le soutien du syndicat. Nous allons de mieux en mieux, et nous devons investir au Japon pour répondre à la demande. Nous devons préserver l’intimité très étroite qui existe dans ce pays entre constructeurs et fournisseurs. Au Japon, il est entendu que le constructeur prend tous les risques face au client final, et il doit se reposer sur des fournisseurs solides. Pendant la crise de Fukushima, nous avons dû arrêter la production pendant quatre mois, mais nous l’avons rattrapée. Lorsque, l’an dernier, la neige a paralysé la préfecture de Gunma, avec 70 centimètres de neige dehors, nous avons aussi dû maintenir notre rythme de production.
Beaucoup de gens craignaient l’émergence de la Corée du Sud et de la Chine dans votre industrie, au détriment du Japon. Cela n’a pas vraiment eu lieu. Comment expliquez-vous cette résilience ?
Pour des produits comme les nôtres, le ticket d’entrée est très élevé. Il nécessite non seulement d’avoir développé des produits, mais aussi des techniques de production très sophistiquées. Peu d’acteurs nouveaux peuvent nous concurrencer.
La majorité de vos clients sont japonais. Est-ce un danger pour l’avenir ?
Les constructeurs automobiles japonais occupent encore 30% du marché mondial ! Nous fournissons aussi d’autres constructeurs, comme Ford en Thaïlande par exemple. Nous sommes très forts en Asie, mais lorsque nous sommes sollicités pour aller hors d'Asie, nous essayons d’y aller avec Valeo, pour tirer profit au maximum de nos synergies.