Anciens et modernes, enfin ensemble
Les manufacturiers d'hier et les développeurs de logiciels d'aujourd'hui ne peuvent se passer les uns des autres
NOUVELLE VAGUE
« Pendant les dernières années on a parlé de réduction de coûts. Enfin on parle technologie. Enfin c’est enthousiasmant » : Ali Ordoobadi, au tempérament calme, a du mal à masquer son optimisme. Le dirigeant de Valeo au Japon s’estime à l’aube d’une révolution automobile comme il en arrive une par siècle, à la tête d’une des entreprises les plus innovantes de son industrie. « Attention, Valeo fait toujours attention aux coûts ! », prévient-il en plaisantant.
Comme toutes les entreprises automobiles, Valeo se retrouve au croisement de quatre bouleversements simultanés : l’électrification, la numérisation, l’autonomisation et la mobilité en tant que service. Et au bon endroit : entre la France et le Japon, qui occupent à eux deux 40% du marché automobile mondial. « Le Japon est à l’avant-poste de cette révolution. Les jeunes veulent travailler dans cette industrie. Valeo Japon embauche 200 ingénieurs par an », explique Ali Ordoobadi.
REVANCHE ET RETOUR
C’est une belle revanche pour l’automobile. On pensait que les logiciels allaient gober les matériels. Que les blue chips de la vieille économie, aux énormes coûts fixes, aux marges réduites, perclues de dettes, seraient naturellement avalées par les GAFAM (Google, Apple, Amazon, Facebook, Microsoft) et autres nouveau-nés de la nouvelle économie aux poches sans fond. Le numéro un mondial de l’industrie, Toyota, né en 1933, est valorisé à 200 milliards de dollars, quand le géant de l’automobile partagée Uber, né il y a neuf ans, en vaudrait déjà 72. Mais les startups n’ont pas envie de s’atteler aux tâches ingrates de la construction automobile. Assises sur un tas d’or, souvent en position monopolistique ou oligopolistique, elles n’ont absolument pas envie de mettre les mains, littéralement, « dans le cambouis ». « Vous êtes déjà allé au siège de Google ? À 15h, tout le monde est rentré chez soi. Ils sont plus tôt à la maison que les fonctionnaires de la Sécurité Sociale française ! » s’amuse Jerry Yang, un jeune investisseur taïwanais qui, après avoir fait fortune une première fois, s’est expatrié à Paris d’où il gère un fond consacré aux start-ups hardware. « Jamais Google ni Apple ne seront constructeurs automobiles. Jamais ! C’est trop dur ! » assure-t-il. C’est aussi un retour pour les constructeurs japonais. Honda ne semblait avoir rien prévu dans ses plans pour la voiture autonome. Toyota pensait que le plaisir de conduire et les obstacles technologiques à l’autonomisation lui laissaient encore du temps. Plus maintenant. Honda a annoncé un énorme investissement (2,7 milliards) dans Cruise Automation, start-up spécialiste de la voiture autonome. Mais Toyota est le plus volontariste : investissements, partenariats,... « Akio Toyoda a insufflé un vent de changement chez Toyota. Il a compris le danger. Car face à une telle révolution, Toyota peut mourir », prévient un de ses anciens cadres.
JAPONAIS ET FRANÇAIS, LES POIDS LOURDS DU SECTEUR
Le poids des Japonais et des Français dans le secteur automobile demeure écrasant, rappelle une étude comparative de McKinsey sur le sujet. Constructeurs français et japonais occupent à eux tout seuls environ 40% du marché mondial. Les Japonais ont une activité de production authentiquement mondiale, relativement bien répartie géographiquement sur leurs marchés, tandis que les Français demeurent aux deux tiers en Europe. Enfin Français et Japonais occupent la moitié des dix premières marches des équipementiers mondiaux, et un tiers des cent premières places, selon McKinsey. Les deux pays sont aussi bien placés sur la ligne de départ du futur : les deux embrassent la conduite autonome (en particulier Renault Nissan Mitsubishi & Toyota), la connectivité (le réseau 5G, indispensable aux nouveaux services automobiles, sera déployé d’ici 2020), l’électrification (les deux pays lanceront plus de 60 véhicules électriques d’ici 2025) et la mobilité (Paris et Tokyo expérimentent des services de d’auto partage). Sur le plan intérieur, les deux marchés sont différents : au Japon les acteurs locaux occupent 91% de leur propre marché, contre 65% en France. Les voitures les plus prisées au Japon sont des K-cars, catégorie sui generis de voitures compactes adaptées à la vie à la campagne, quand la France est fan de la “catégorie B”, ces voitures polyvalentes dont la vedette est la Renault Clio. Enfin le Japon se caractérise par la prévalence des moteurs à essence et du moteur hybride, quand la France est partagée à quasi-égalité entre moteurs à essence et moteurs... diesel.