Boire jusqu'à l'ivresse/sa vieillesse

Les seniors japonais ne sont pas à plaindre. Plutôt à prospecter !

Appelons ça l’illusion de la jeunesse. Beaucoup pensent que le réservoir de consommateurs se trouve dans les jeunes adultes ; c’est de moins en moins vrai. Car ces derniers consomment relativement moins que ceux de la dernière et de l’avant-dernière génération. En raison de l’allongement de la durée des études et de la nécessité de s’endetter pour les financer, du risque de chômage, les jeunes adultes n’ont jamais autant freiné leurs dépenses. Ainsi embrassent-ils depuis quelques années résolument l’économie de partage, refusant de posséder les objets de leurs aînés (voiture, logement...).
La vraie génération montante, c’est la vieille. Ce phénomène a lieu dans tous les pays développés. « Au lieu d’assister à une hausse de la population active de 0,1% par an comme ce fut le cas ces dix dernières années, nous assisterons à sa baisse de 0,3% par an jusqu’en 2025 » a calculé James Pomeroy, de HSBC.
Le phénomène du vieillissement est déjà visible au Japon. Les plus de 65 ans y représentent plus d’un quart de la population. Ce ratio atteindra 40% en 2030.

Hyperactifs
Cette mauvaise nouvelle est à relativiser. Car les vieux ne sont plus ce qu’ils étaient. L’espérance de vie en bonne santé au Japon est la plus élevée du monde, à 75 ans. L’âge auquel les Japonais meurent le plus est de 93 ans pour les femmes et 87 ans pour les hommes. Une femme japonaise de 80 ans a une espérance de vie de 11 ans !
Autre bonne nouvelle : les vieux mettent la main au portefeuille. Selon Hideo Kumano, économiste en chef de l’Institut de recherches Dai-Ichi Life, leurs dépenses de consommation ont augmenté de 3,1% par an en moyenne depuis 2003. « Contrairement à une idée reçue, les personnes âgées constituent la tranche de la population qui consomme le plus car elle a remboursé ses emprunts et fini de payer les études de ses enfants (...) Les entreprises et les gouvernements doivent absolument prendre en compte la vieille génération pour adapter leurs pratiques à leurs besoins », explique Amlan Roy, en charge des grandes tendances démographiques mondiales chez Credit Suisse. Agées mais branchées : dans une étude récente cet analyste balaie l’image d’une vieille génération imperméable aux nouvelles technologies : « les personnes âgées ne sont pas rétives à essayer de nouveaux produits ; ils sont juste plus lents que les autres à les adopter », indique-t-il.
Troisième bonne nouvelle pour les entreprises qui s’intéressent aux seniors japonais : ils sont plutôt affluents. Le Japon, à l’inverse de la Chine, a pris la précaution de devenir riche avant de devenir vieux. Les plus de 50 ans représentent 58 % de la consommation dans l’Archipel. Et les plus de 65ans disposent encore d’un revenu moyen très élevé : 1,94 millions de yens par an et par personne (4,4 millions de yens par foyer). 84% d’entre eux déclarent n’avoir « pratiquement aucun problème économique », selon un sondage du bureau du gouvernement. Cette tranche d’âge souffre certes de très fortes inégalités, mais elle demeure globalement riche.

Le travail c’est la santé
Pourtant les retraités nippons ne sont statistiquement pas les mieux lotis lorsqu’ils partent à la retraite : ils touchent en moyenne 36% de leur salaire moyen (contre 58% en France). Comptes publics dans le rouge obligent, l’âge auquel ils ont le droit de toucher leur retraite est progressivement repoussé de 60 à 65 ans. Leurs dépenses de santé sont et seront de moins en moins remboursées (en 2020 le Japon comptera 2 actifs pour 1 retraité, contre 6 actifs pour 1 retraité en 1990). Alors comment font-ils ? Leur secret : ils compensent leur retraite par un revenu d’appoint et quelques placements financiers. Les seniors travaillent sans le moindre états d’âme : selon un sondage du gouvernement 70% des plus de 60 ans se déclarent prêts à travailler au moins jusqu’à 70 ans. Le font-ils pour des raisons matérielles ? Est-ce par nécessité ? Pas pour le moment en tout cas. La moitié des personnes interrogées par le gouvernement assure travailler pour des raisons non économiques (« avoir une raison de vivre », « conserver la santé », « occuper son temps libre »...). La Diète a adopté en 2013 une loi qui incite fortement les entreprises à réembaucher les employés qui le souhaitent pour travailler au moins jusqu’à 65 ans. Par ailleurs les municipalité ont ouvert dans tout le pays des centres de ressources humaines silver qui proposent un portefeuille de petits boulots très étendu : gestion de parkings à vélos, entretien de jardins, réparation de portes coulissantes en papier, guide touristique... La vieillesse est certes un naufrage, comme disait Charles de Gaulle, mais au Japon, au moins, c’est sur le Titanic.


Le club des 100
La région Asie-Pacifique compte aujourd’hui 86.000 centenaires ; plus de la moitié d’entre eux (51.000) sont japonais. Dans les années 60, le pays n’en comptait que 153. 23 des 67 super-centenaires (personnes âgées d’au moins 110 ans) sont japonais.

 

La vieille idée du HRCS
Le premier centre de ressources humaines silver (HRCS) a ouvert dès 1974 à Tokyo. L’idée : maintenir en activité les plus de 65 ans qui le désirent en leur confiant des tâches d’utilité publique. Depuis, cette idée a essaimé. En 1981, selon leur association professionnelle, il y avait 92 HRCS au Japon, qui employaient 46.448 personnes ; il y a aujourd’hui 1304 HRCS qui gèrent 721.712 inscrits (dont 236.530 femmes). Le plus important se trouve à Osaka. Il emploie 6500 membres à qui il propose une trentaine d’activités différentes. Au niveau national, 69% des personnes inscrites à un HRCS travaillent en entreprises, contre 31% dans le secteur public. L’emploi des personnes âgées dans ces conditions est relativement encadré : elles peuvent travailler au maximum 10 heures par semaine, pour un salaire d’environ 50.000 yens par mois. Sans doute une manière d’éviter un effet trop important sur les emplois réguliers. Ces centres profitent du désir des personnes âgées de demeurer actives.

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