De Coca-Cola à Shiseido
Le nouveau directeur général de Shiseido met l'accent sur le marketing
Le P-DG de Shiseido carbure au Coca-Cola. Carrure d'athlète, pochette d'un violet joyeux, grand sourire à l'américaine, il donne ses interviews directement en anglais. En retrait, la traductrice susurre les échanges aux autres cadres égarés.
Le groupe né dans une pharmacie du quartier de Ginza (Tokyo) en 1872 vit une révolution par le haut. Elle a été enclenchée par Masahiko Uotani, arrivé à la tête du géant de la cosmétique il y a un an. Sa nomination avait bouleversé la société, qui cultivait depuis toujours un système de promotion à l'ancienneté. Pour la première fois, en 2014, une personnalité totalement étrangère à l'entreprise a été promue par la direction. « Les employés que j'ai rencontrés exprimaient un sentiment de crise et ressentaient le besoin d'une transformation du groupe », justifiait alors Masahiko Uotani. Il n'avait auparavant passé qu'un an dans les murs de Shiseido en tant que consultant.
À soixante ans, il a été choisi pour sa connaissance des codes de la mondialisation et sa bonne culture du marché japonais, où Shiseido réalise encore 47% de son chiffre d'affaires. Un arbitrage habile permettant d'accélérer l'internationalisation sans tenter le grand bond du recrutement d'un patron gaijin, comme Sony ou Nissan.
Lettres
Après des études de littérature anglaise à l'Université Doshisha, Masahiko Uotani a été embauché chez Lion Dentifrice (depuis rebaptisé Lion), et est parti à New York décrocher un MBA. Repéré à son retour par Kraft, il devient, en 1991, vice-président de sa filiale japonaise. Trois ans plus tard, il prend la direction de l'équipe marketing de la filiale nippone de Coca-Cola, où les ventes, qui représentaient encore dans les années 2000 20% du profit opérationnel mondial du groupe d'Atlanta, sont malmenées. Il travaillera sur plusieurs campagnes pour les cafés Georgia et misera énormément sur l'excitation nationale précédant la Coupe du monde de football de 2002 pour doper l'image de Coca.
Dès 2001, il est P-DG de Coca-Cola Japan. Mais en 2006, il est déplacé au poste de Président quand un Américain est nommé à Tokyo, à la direction exécutive. Il quitte le groupe en 2011.
Chez Shiseido, il prescrit l'électrochoc. « J'ai rencontré 10.000 employés », assure-t-il. Il a découvert à son arrivée « un groupe trop replié sur lui-même » et des vendeurs démotivés, jamais associés aux stratégies marketing décidées plus haut. En décembre dernier, dans les minutes qui ont suivi la présentation de son grand plan stratégique pour le groupe au cours duquel il avait plaidé pour un rajeunissement des différentes marques qui constituent la société, il a croisé dans les bureaux le président des cosmétiques Prior, développés spécialement pour les femmes japonaises de plus de 50 ans. « Alors, tu vas nous abandonner ? », s'est inquiété le responsable. « Non », l'a conforté le P-DG. « Si, au Japon, nous allons continuer de travailler sur les générations plus âgées, nous devons globalement nous adresser à une population plus jeune, notamment dans les pays en développement », détaille Masahiko Uotani, qui pointe le dynamisme des marchés, en Chine ou en Asie du Sud-Est, où Shiseido va devoir trouver des relais de croissance pour compenser le déclin régulier des ses ventes japonaises. Sur l'exercice fiscal achevé fin mars, le chiffre d'affaires dans l'Archipel a encore fondu de 3,2%.
À l'international, le repli est moins rapide. Mesuré en devises locales, il n'a été, l'an dernier, que de 0,9 %. Au total, le profit opérationnel du groupe aura fondu de 44,4 % sur un an pour atteindre 27,6 milliards de yens.
Toujours la Chine
Pour redresser cette courbe Masahiko Uotani mise beaucoup sur la Chine (14,5% de ses ventes mondiales). Voulant rapprocher les centres de décision des consommateurs, il vient de donner plus de pouvoir, à Shanghai, à une équipe régionale capable d'adapter plus rapidement son marketing aux évolutions de la demande locale. Responsabilisés, les cadres sur place vont préparer l'introduction, l'an prochain, dans le pays de la marque Elixir et relancer la stratégie de commerce en ligne. La Chine pourrait représenter 20% des ventes à l'horizon 2020. Si Shiseido accepte d'être bousculé, il pourrait, assure le PDG, atteindre les 1.000 milliards de yens de ventes par an en 2020, contre aujourd'hui 777,7 milliards de yens. Dans sa dernière carte de vœux envoyée aux collaborateurs du groupe, le dirigeant a écrit « Soutenez Shiseido, il s'apprête à agir et à bouger ».