Des ronds dans l'eau
Les rodomontades autour des Senkaku ont eu un effet très limité sur l’économie du Japon
Je t’aime moi non plus
Ils se détestent mais ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. Chine et Japon ont des relations politiques très inflammables, qui contrastent avec l’approfondissement permanent de leurs relations économiques.
La dernière controverse concerne les Senkaku, un chapelet d’îles de sept kilomètres carré (la taille du treizième arrondissement de Paris) contrôlées par le Japon mais revendiquées par la Chine. Le rachat de ces îles par l’État japonais a provoqué la colère des Chinois, gouvernement et peuple confondus, qui ont imposé, depuis, un semblant de boycott populaire des produits japonais.
Les exportations du Japon vers la Chine représentent 20% du total des exportations japonaises. À quoi s’ajoutent les ventes directes des entreprises nippones sur le marché chinois : celles-ci selon les calculs du ministère des Finances représentent 16% du total des ventes des succursales japonaises à l’étranger. Au total, les deux montants cumulés représentent près de 7% du PIB japonais. « Le Japon est beaucoup plus dépendant de la Chine que beaucoup d’autres pays développés. De tels chiffres montrent que le marché chinois est capital pour beaucoup d’entreprises japonaises » relève Nobuyuki Saji, de MUFG. Les deux tiers des exportations japonaises vers la Chine sont des biens d’équipement que ne voit pas le consommateur chinois final.
La Chine quant à elle est beaucoup moins « accro » à son voisin que l’inverse. Ramenés à la masse de son économie, les investissements étrangers et les importations issues du Japon ont une part négligeable dans l’économie nippone. Seuls certains produits industriels et composants nippons sont réellement indispensables à la Chine.
Voitures et touristes
Les conséquences de la crise politique autour des Senkaku ont été beaucoup commentées à propos de l’automobile et du tourisme. Les exportations d’automobiles japonaises ont été multipliées par onze en onze ans depuis 2000. Elles se sont effondrées en septembre et octobre (-82%), mais les constructeurs indiquent tous que les consommateurs retrouvent le chemin de leurs concessionnaires. En réalité, les Chinois qui se refusent à acheter japonais pénalisent surtout d’autres Chinois : 93% des ventes d’automobiles japonaises vendues en Chine sont produites localement, selon l’association des constructeurs automobiles japonais. Une baisse des ventes des voitures japonaises pénalise des ouvriers chinois, des distributeurs chinois, des vendeurs chinois… Seules les voitures haut de gamme sont réellement importées du Japon. Quant au tourisme, les rodomontades autour des Senkaku ont tué la reprise très claire que devait marquer 2012 après la catastrophique année 2011. « Tandis que le nombre de touristes chinois a doublé entre avril et août par rapport à l’an dernier, la hausse n’est plus que de 10% en septembre », relève Yasuo Yamamoto, de l’institut de recherches Mizuho. L’économiste calcule que sans la controverse Senkaku, le nombre de touristes chinois au Japon aurait probablement franchi la barre des deux millions. Le million de touristes manquants se traduit par une perte de consommation pour l’économie nippone de 150 milliards de yens de dépenses.
Mais le Japon a peut-être trouvé une parade à sa « sino-accoutumance » : l’ANSEA (Association des Nations du Sud-Est Asiatique), vague union régionale de dix pays frontaliers de la Chine. Nobuyuki Saji remarque que les investissements directs du Japon sont beaucoup plus importants dans cette région du monde que chez son immense voisin, en dépit d’une population deux fois moins nombreuse. L’État japonais négocie avec ces « petits » pays des accords de libre-échange qui rendent commodes l’organisation de sa logistique. Et les entreprises japonaises semblent mille fois plus heureuses de traiter avec eux qu’avec la Chine.