Didier Leroy, conducteur de travaux

Conducteur de travaux

Didier Leroy fend la pièce comme s’il n’était pas annoncé. Il a conservé l’allant de sa jeunesse d’espoir du football français. Vers 16 ans, il était l’étoile montante du FC Lille, sous la houlette de l’entraîneur Georges Peyroche. « J’étais parti pour devenir footballeur professionnel. J’avais ma chance, comme on dit – ce qui ne veut pas dire que j’aurais réussi », se souvient-il, soudain mélancolique. « J’en ai conservé l’esprit de compétition. Celui qui consiste à croire encore en la victoire en étant mené 2-0 à dix minutes de la fin du match ». Aujourd’hui Didier Leroy est un des quatre vice-présidents exécutifs du groupe Toyota, en charge des marchés européen, nord-américain, africain et du Moyen-Orient.
Il est aussi, à la faveur d’une réorganisation du groupe annoncée en avril, Chief Competitive Officer, avec pour mission de rendre l’entreprise plus compétitive. France, Japon, Toyota, industrie... Il répond sans ambages aux questions de FJE.

Une des faiblesses de Toyota aujourd’hui est son absence de stratégie marketing mondiale. Est-ce une de vos priorités ?
DIDIER LEROY
D’abord, si on vend dix millions de véhicules par an, c’est qu’on ne se débrouille pas trop mal pour notre communication. D’autre part il faut bien comprendre que la stratégie de Toyota est de s’adapter localement aux spécificités et aux souhaits des clients. D’une manière générale, est-il avantageux de développer une stratégie mondiale ? C’est judicieux en termes de coûts, mais cela peut avoir des conséquences catastrophiques pour la communication. Je peux vous assurer en tout cas que les équipes locales travaillent ensemble et échangent énormément d’informations.

La mobilité est le grand thème de notre temps. De nombreux analystes prédisent le triomphe des opérateurs comme Uber sur les industriels comme Toyota. Comment affronter ce défi ?
D.L.
Il est évident que les besoins en mobilité vont croître, évoluer et qu’ils seront très différents suivant les régions du monde et suivant les individus. L’habitant d’une métropole n’a pas les mêmes soucis que celui d’un milieu rural. D’autre part, nous prédisons que le marché automobile va rétrécir dans les prochaines années dans les pays développés, à cause du car sharing ou parce que la jeune génération est moins attachée à l’automobile que les générations précédentes.
Mais quand on analyse finement les ventes on s’aperçoit que la désaffection des jeunes pour l’automobile est moins importante qu’il n’y paraît. En réalité les ventes et les services d’entretien des véhicules continueront d’augmenter dans les prochaines années, mais moins vite qu’avant. Nous devons trouver de nouveaux relais de croissance dans des services et travailler sur la partie logicielle de l’automobile. Nous devons aussi développer des services d’assistance à la personne – pour la mobilité des personnes âgées par exemple. Ensuite, il y a encore une telle demande d’automobiles dans la partie du monde en développement que nous aurons du travail encore pour des dizaines d’années. Nous réfléchissons à ces évolutions en interne et par des partenariats. Nous venons par exemple d’annoncer une collaboration avec Uber.

Toyota a eu sa part de crise ces dernières années mais vous semblez épargné par le Dieselgate, le scandale des falsifications de données sur la pollution...
D.L.
Les gouvernements allemand, français et britannique ont refait, dans des conditions de circulation réelles, les tests de pollution sur l’ensemble du parc automobile de leur pays. Or Toyota en est ressorti avec des résultats très proches de ceux obtenus en laboratoire. Nous sommes très stricts sur ces questions.

Que diriez-vous pour convaincre un jeune diplômé, japonais ou non, de rejoindre votre entreprise ?
D.L.
Une des forces de Toyota est que nous avons une vision à très long terme. On peut se moquer de nous quand nous annonçons notre stratégie à l’horizon 2050. Mais pour Toyota, 2050 commence aujourd’hui ! Une autre force est que notre empreinte géographique est vraiment mondiale. D’autre part notre produit, quoiqu’on en dise, suscite toujours la passion. L’automobile est le deuxième achat important derrière la maison. Il est au cœur des préoccupations quotidiennes des gens. Je dirais aussi que nous sommes, comme Google ou Apple, sur des questions de mobilité, et que nous faisons partie de ce club d’entreprises vraiment capables de changer le monde.

Pourquoi aviez-vous, vous-mêmes, rejoint Toyota?
D.L.
J’ai travaillé pendant seize ans chez Renault. On ne cessait de m’expliquer les différentes méthodes de production de Toyota tout en prétendant qu’elles ne pouvaient marcher qu’au Japon. Or j’ai toujours pensé que le succès des Japonais n’était pas une question de passeport. Nous n’avions pas trouvé le moyen d’appliquer leurs méthodes correctement, voilà tout. J’ai eu l’opportunité de rejoindre Toyota, de démarrer l’usine de Valenciennes et de mettre ces méthodes en pratique en France directement. C’était il y a 17 ans...

Votre parcours est atypique...
D.L.
Je suis rentré chez Renault à une époque où l’entreprise embauchait 250 à 300 nouvelles têtes par an qui suivaient un stage ouvrier de quelques semaines. Mais avec trois ou quatre autres recrues je me suis retrouvé opérateur sur ligne, à la chaîne, pendant deux ans, puis team leader pendant un an, enfin group leader pendant deux ans. Une telle formation vous marque à jamais car elle vous enseigne la réalité du terrain et les vicissitudes du travail à la chaîne. Je ne dirais jamais cette phrase qu’on entend parfois chez les dirigeants d’entreprise : « l’ouvrier n’a qu’à faire attention ! » Non. Ils ne connaissent pas la fatigue de ces tâches. Ce sont des expressions qui ne sont plus dans mon vocabulaire.

Si vous observez le climat social en France, comment expliquez-vous l’apaisement qui semble régner chez Toyota ?
D.L.
Même si la hiérarchie est très respectée chez Toyota, il y a dans l’entreprise une accessibilité des dirigeants vraiment impressionnante. En France, dans beaucoup d’entreprises, le dialogue social est plutôt bon. Mais une partie des chefs d’entreprise est détachée de la réalité tandis qu’une partie des dirigeants syndicaux poursuit des objectifs particuliers. Je ne sais pas lequel des deux camps a commencé... Comprenons-nous bien : les syndicats peuvent et doivent lutter contre des directions défaillantes si celles-ci commettent des erreurs de stratégie. Mais ils doivent aussi préparer les emplois de demain et participer à solidifier l’économie française, pas faire du bruit pour préparer la présidentielle de 2017.

Comment Toyota a-t-il pu réussir son implantation à Valenciennes ?
D.L.
Nous venions tous d’entreprises différentes. Nous savions ce qui ne marchait pas dans nos entreprises d’origine. Nous nous sommes efforcés de ne pas copier bêtement le modèle japonais mais de l’adapter à la France. Nous avions pour missions de créer 2000 emplois en CDI. Nous en avons créé près de 4000 dont 3300 CDI.
On me demande, parfois, quel est le « secret » d’une bonne entreprise. J’ai toujours envie de répondre : « le secret, c’est vous ! C’est vous qui ne vous êtes pas remis en question et imaginez qu’il y a une formule magique pour résoudre vos problèmes ! »

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