Edito : Immigration, parlons-en
La panne démographique du Japon est un sujet qui, lui aussi, commence à vieillir. Le taux de fécondité japonais est passé dès 1974 en-dessous de 2,08 enfants par femme (taux de renouvellement des générations). Entre-temps, les moins de 15 ans sont passés de 24 à 13% de la population, et les plus de 65 ans de 7 à 26%. L'économie japonaise souffre, au sens propre, de dévitalisation. Les entreprises actives au Japon sont prises en ciseau entre un rétrécissement de leur marché intérieur et une pénurie de main-d'œuvre. Le Japon compte aujourd'hui en moyenne 1,17 offre d'emploi pour 1 demandeur. Selon le ministère de la Santé, on dénombre 6 offres d'emploi pour une demande chez les médecins. 5 offres d'emploi pour une demande dans le bâtiment. 2,5 offres d'emploi pour une demande dans la restauration.
L'immigration fait partie de l'éventail des solutions pour remédier au déclin démographique des sociétés développées. Or, elle est le grand sujet de société absent du débat politique japonais. C'est un tort. Le Japon demeure admiré du monde entier pour le modèle de prospérité partagée qu'il a mis en place après-guerre. Il serait logique qu'il en tire profit en attirant à lui et en faisant éclore les jeunes talents qui souhaitent vivre dans la paix, sous la protection de ses lois et de ses institutions démocratiques. Un journaliste avait demandé un jour à Lee Kwan Yew, le fondateur du Singapour moderne, s'il ne pensait pas que la Chine allait nécessairement dépasser les États-Unis à cause de son avantage démographique. Il avait répondu : « La Chine peut compter sur 1,3 milliard d'individus, mais l'Amérique peut compter sur 7 milliards d'individus et les agréger au sein d'une culture qui favorise la créativité ». Le Japon ne doit pas oublier qu'il fait partie de cette très petite coterie de nations dotées d'un pouvoir d'attraction universel. Il devrait l'utiliser à bon escient.
Pourtant depuis 2008 la population immigrée diminue au Japon. Cette baisse n'est même pas atténuée par les naturalisations : le ministère de la Justice naturalise trois fois moins d'étrangers que son homologue suisse. Chaque fois que le gouvernement en a l'occasion, il assure ne mener aucune « politique d'immigration ». Afin de trouver de la main-d'œuvre pour les tâches non-qualifiées, il a mis en place un système de « stages » pour les travailleurs étrangers ; mais ce système, discriminatoire et temporaire, n'offre pas de solution à long terme à son problème démographique. L'Archipel ne parvient pas non plus à attirer des cadres supérieurs, bien qu'il ait considérablement assoupli la procédure de visas à leur égard.
Le développement exponentiel du tourisme offre aux Japonais la chance de se familiariser, même superficiellement, à une population étrangère. L'explosion des dépenses de santé de la population vieillissante milite également a priori pour une politique d'immigration de travail. Le Japon a raison de ne pas sombrer dans l'angélisme sur ce sujet, capital dans tous les pays développés. Mais la pire des attitudes serait de refuser de l'aborder.