Éditorial

Ma vie avec un investisseur japonais

Lorsque nous avons rejoint le groupe Rakuten il y a trois ans, les deux tiers de notre activité étaient c2c (consumer to consumer). Mais nous étions convaincus que le b2b2c était l'avenir de notre industrie. C'est la position qu'avait déjà adoptée Rakuten au Japon, et c'est celle-là que nous avons à notre tour embrassée lorsqu'il nous a rachetés en juillet 2010. Avec succès. Notre volume d'affaires a triplé en trois ans. Nos effectifs ont doublé. Notre budget marketing a été multiplié par 2,5. 60% de notre activité est aujourd'hui en b2b2c, et ce ratio progresse encore tandis que le c2c progresse très modérément.


Cette croissance s'est faite au prix de profonds changements internes chez Price Minister. Nous avons recruté des consultants en commerce électronique formés par Rakuten, qui dialoguent avec les marchands, leur expliquent nos outils de vente et les aident à se développer. Nous sommes devenus une plateforme de marchands dans laquelle chacun peut personnaliser sa boutique, loin des sites de vente linéaires où tout se ressemble. Comme dans le commerce physique, les consommateurs veulent des boutiques diverses, personnalisées, où les contacts humains et l'expertise du spécialiste font partie de l'expérience d'achat. Un hypermarché ne pourra jamais reproduire le charme d'une rue commerçante.


Conclusion : Hiroshi Mikitani avait vu juste. Le modèle Rakuten, très particulier, n'était pas un modèle « Galapagos » uniquement adapté aux spécificités japonaises. Il était en réalité l'avenir du commerce électronique, qui refuse la massification anonyme au profit de l'expérience personnelle.


La cadence de l'internationalisation de Rakuten est impressionnante. Les équipes que je rencontre au siège du groupe lors de mes visites au Japon se sont mises, en trois ans, à l'heure mondiale. Je n'ai aucun problème de communication avec Hiroshi Mikitani ou ses équipes. Pourtant, malgré ce dynamisme, le groupe a pris soin de ne pas blesser la spécificité de Price Minister, ni des autres sociétés qu'il a acquises. La délicatesse est, d'après mon expérience, une des qualités des investisseurs japonais. Si, dans leur expansion internationale, les entreprises américaines suivent souvent un modèle qu'ils pensent universel en escomptant que tout le monde finira par s'y conformer, les Japonais au contraire ont conscience de leur particularité. Ils cultivent les talents locaux, les laissant autonomes tout en lançant des impulsions stratégiques. La conservation de la marque Price Minister, très reconnue en Europe, participe de cette philosophie. La logique voudrait qu'elle soit à l'avenir absorbée par la marque Rakuten. Mais Rakuten ne gagnerait rien à imposer brutalement son nom.


Ce pragmatisme et cette ambition font des Japonais des investisseurs en phase avec les entreprises françaises. À bon entendeur, salut !

Pierre Kosciusko-Morizet est le p-dg de Price Minister.

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