Editorial : Omedeto, Takeda

Le premier laboratoire japonais, Takeda, a décidé de nommer Christophe Weber, un Français, à sa tête. M. Weber est actuellement directeur général de la branche vaccins du groupe pharmaceutique britannique GSK. Après des études à l’université de Lyon, il a occupé diverses fonctions de direction au sein de GSK en Europe, aux États-Unis et dans la région Asie-Pacifique. Il a notamment été p-d-g de GSK France de 2003 à 2008.

À 47 ans, Christophe Weber succédera à Yasuchika Hasegawa, directeur général de Takeda, en juin prochain ; une promotion d’autant plus remarquable que M. Weber provient d’une autre entreprise. M. Hasegawa lui-même était un outsider, ayant succédé à une très longue lignée de membres de la famille Takeda. Il a mené deux acquisitions étrangères parmi les plus coûteuses de l’histoire du Japon (l’Américain Millenium et le Suisse Nycomed). Mais ce pari « humain » est sans doute le plus audacieux qu’il ait pris. « Il a une vraie vision : faire de Takeda une multinationale japonaise, c’est-à-dire une société japonaise avec des étrangers exerçant de hautes responsabilités. C’est difficile, et il s’y est déjà cassé les dents. Il y a cinq ans, il a nommé un Allemand qui, de Londres, dirigeait l’Europe. Les Japonais en Europe reportaient à l’Allemand et non au Japon : pour eux, du jamais vu ! Mais l’Allemand a plié bagages après quelques années », explique un de ses proches. À propos du choix de Christophe Weber, M. Hasegawa a déclaré à la presse : « Qu’il soit étranger ou japonais, peu importe, ce n’est pas là l’important. Nous avons choisi celui qui peut transformer l’entreprise pour en faire un groupe doté d’une forte compétitivité dans l’univers mondial de la pharmacie ».

Cette décision est peut-être d’une importance similaire à celle de l’arrivée de Carlos Ghosn à la tête de Nissan en 1999. Comme dans le cas de Nissan, cette entreprise ancienne (Takeda a été fondée en 1781), née à Osaka, qu’on pourrait imaginer figée, s’impose une révolution copernicienne en confiant ses rênes à un étranger littéralement analphabète. Autant pour la « rigidité », le « conservatisme », l’« incapacité au changement » dont seraient victimes les entreprises japonaises.

« Il est rare que des entreprises japonaises franchissent le Rubicon et confient à des étrangers leur direction », pouvait-on ainsi lire dans Le Monde au moment de l’annonce de la nomination de Christophe Weber. Ce dernier est certes un des rares patrons étrangers de l’Archipel. Il succède à Carlos Ghosn (Nissan), Stuart Chamber (Nihon Sheet Glass), Howard Stringer (Sony), Armel Cahierre (Paris Miki) et Michael Woodford (Olympus). Parmi tous ces noms, seul Carlos Ghosn est parvenu à vraiment transformer l’entreprise qu’il dirige encore aujourd’hui. Les autres ont connu des fortunes diverses, mais toutes courtes.

Le Japon ne compte aujourd’hui que deux entreprises dirigées par un étranger. Mais cela en fait-il un cas à part pour autant ? Parmi les entreprises du CAC40, seules quatre (EADS, Sanofi, ArcelorMittal, STM) ne sont pas dirigées par un Français. La différence entre le Japon et la France semble davantage de degré que de nature. Le Japon n’est pas un pays plus fermé que les autres, comme les entreprises qui ont « réussi » ici ne cessent de le répéter. Imagine-t-on une entreprise membre du CAC40 français dont le p-d-g serait incapable de lire le français ou l’anglais ? Imagine-t-on Renault se choisir un Japonais comme patron, comme le fit Nissan en 1999 ?

M. Hasegawa a décidé de rester président de Takeda pendant quelques années pour faciliter la tâche de M. Weber. Elle ne sera pas facile. M. Weber connaît bien l’Asie, mais moins bien le Japon. Il ne parle pas japonais.

Mais au Japon, tout est possible.

Nous lui souhaitons tous les bonheurs personnels et professionnels.

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