Éducation : Harcèlement, l'éducation 
du sauvage

Le 17 décembre dernier, un élève japonais du lycée Sakuranomiya, à Osaka, s’est suicidé. Capitaine de l’équipe locale de basketball, il ne supportait visiblement plus les incessantes brimades physiques de son entraîneur. Ce drame est l’occasion de revenir sur les châtiments corporels à l’école, largement tolérés au Japon. Aaron L. Miller, auteur d’un livre à paraître sur le sujet, livre son analyse.

On a le sentiment d’une grande ambiguïté du Japon en matière de châtiments corporels à l’école.

Le Japon a interdit les châtiments corporels à l’école dès sa loi sur l’Éducation de 1879. Il fût le sixième pays au monde, bien avant l’Angleterre par exemple, à prohiber ce genre de pratiques. Le Japon avait envoyé une mission aux États-Unis, la Mission Iwakura. En pleine ouverture et modernisation, il voulait apprendre de l’Occident pour se réformer. L’un de ses membres, Fujimaro Tanaka, du ministère de l’Éducation, a visité le New Jersey, seul État américain à avoir interdit cette pratique. Et la loi du New Jersey a servi de base pour la loi japonaise. Le professeur américain David Murray, de l’université Rutgers, engagé comme consultant par le gouvernement japonais, a probablement travaillé avec Fujimaro Tanaka sur ce texte. Le Japon a pensé à l’époque que l’interdiction des châtiments physiques représentait une avancée dans la civilisation. C’était autant un gage de modernisation qu’un souci de protéger les élèves japonais. D’ailleurs, le Japon a continué à autoriser les châtiments corporels dans ses colonies, notamment à Taiwan et en Corée.

La loi de 1879 interdisant les châtiments corporels a été abolie en 1885, rétablie en 1890, abolie en 1900, rétablie en 1941, adoucie en 1943. Elle a finalement été intégrée à la Loi Fondamentale sur l’Éducation en 1947. Les Japonais croient déceler dans cette dernière loi l’influence de l’occupation américaine. Mais en réalité, l’influence américaine sur ce sujet a eu lieu à la fin du 19e siècle !

La question du châtiment corporel au Japon est fascinante, car elle illustre à merveille la tension que vit ce pays depuis 150 ans. Un camp pense que l'avenir du Japon se trouve hors de lui, à l’étranger, et un autre camp pense que l'avenir se trouve en lui.

Mais les professeurs respectent-ils cette loi ? Les parents la respectent-ils ?

Non. Ma recherche montre qu’entre 1990 et 2004, seulement 40% des professeurs qui ont confessé avoir battu un élève ont été sanctionnés par le ministère de l’Éducation. Il y a eu plusieurs tentatives de changer cet état d’esprit, mais elles n’ont jamais abouti. Si le ministère de l’Éducation punissait réellement les professeurs qui s’adonnent aux punitions physiques, les choses changeraient certainement. Le Comité Olympique japonais a parlé cette année de « pire crise de l’histoire sportive du Japon » à propos des brimades dont a été victime l’équipe olympique de judo. Peut-être que les Japonais sont en train de prendre conscience de la situation.

Les enfants acceptent souvent les châtiments physiques, car en se faisant battre, ils ont le sentiment d’avoir été choisis, privilégiés par leur professeur. Ce qui est plus étonnant, c’est que les parents tolèrent souvent les brimades physiques sur leurs propres enfants, et ce alors que la loi les réprimande. La société d’une manière générale tolère encore les châtiments physiques. Prenez le célèbre cas d’Hiroshi Totsuka. Sous cet « éducateur », qui dirige l’école nautique TYS, à Nagoya, 2 adolescents se sont suicidés en sautant d’un bateau, et 1 est mort sous les coups de ses « éducateurs ». Hiroshi Totsuka a été condamné à cinq ans de prison. Sa peine a été réduite à trois années. Quand il est sorti, en 2006, il a déclaré fièrement qu’il n’avait aucun remords, et que « la punition physique, c’est l’éducation » (taibatsu wa kyoiku da). Il a rouvert son école sous le même nom. Depuis, en 2009, un autre élève s’est suicidé. L’école existe toujours !

Aaron L. Miller est l’auteur de Discourses of Discipline, an anthropology of corporal punishment in Japan, éditions University of California, Berkeley (à paraître à l’été 2013). Il est consultant, notamment pour Tesla Motors.

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