Hausse de la TVA : « Une bêtise monstrueuse » (Patrick Artus)
Directeur de la recherche économique chez Natixis, Patrick Artus dresse un premier bilan des Abenomics à l'occasion d'une Conférence à la CCIFJ. Sévère.
Les partisans des Abenomics prétendent que leurs effets se feront sentir quand la demande mondiale reprendra. Qu'en pensez-vous ?
Cette approche a deux problèmes : le premier, c'est que la reprise américaine touche les services et la construction, mais pas l'industrie, et qu'elle ne profite pas aux autres pays. En ce moment les importations des États-Unis diminuent. D'autre part, les études montrent que la sensibilité des exportations japonaises au change est très faible : une dépréciation de 10% du yen accroît les exportations en volume de 1%, soit une élasticité de 0,1%. En France, une dépréciation de 10% de l'euro accroît de 11% le volume des exportations françaises. Le Japon est comme l'Allemagne : ses produits sont peu sensibles au change. Quand le yen baisse, le Japon perd davantage en importations de matières premières qu'il gagne en exportations. Le Japon fait partie des pays, avec l'Allemagne, qui ont besoin d'une monnaie forte. Les Français, les Espagnols et les Italiens ont plutôt besoin d'une monnaie faible, car leurs exportations sont très sensibles au prix.
Pensez-vous que les Abenomics pourraient fonctionner si le gouvernement réalisait des réformes structurelles ?
Comparons l'Allemagne et le Japon. Depuis quinze ans, les Allemands font baisser les prix des services en les déréglementant. Ils pensent que l'industrie renforce sa compétitivité en utilisant des services pas chers. Dans une voiture, par exemple, le coût dépend davantage des services que du travail.
Les Japonais, eux, conservent des services peu compétitifs pour assurer le plein-emploi. Ils ont fabriqué, consciemment, un système dual, où l'industrie subventionne les services. Exemple : si vous remplacez le petit commerce par Carrefour, le prix des aliments va certes tomber, le pouvoir d'achat va augmenter, mais vous fabriquerez des milliers de chômeurs. C'est un choix ! Le Japon et la Suisse ont fait ce choix.
Shinzo Abe, lui, prétend faire un choix « industriel » et veut déréglementer les services, à l'allemande. Il y est poussé aussi par le vieillissement de la population, qui oblige de toute façon à avoir des services plus compétitifs. Mais il risque de fabriquer des millions de chômeurs.
Êtes-vous pour une hausse de la TVA ?
Augmenter la TVA de trois points aujourd'hui est une bêtise monstrueuse. On sait que le problème du Japon est le partage inégal des revenus au détriment du salarié. Dans un tel contexte, il est fou de taxer le consommateur. Ce sont les entreprises qu'il faut taxer : 60% de leurs bénéfices ne servent à rien. Autant les prendre ! Autant augmenter de 10% le taux d'imposition des profits ! La demande des ménages a été tuée par la hausse de la TVA en 1997.
Fondamentalement, les Japonais ne comprennent pas qu'ils ont un problème de partage des revenus. Tant qu'ils ne comprennent pas cela, leur économie ne grandira que sur des « coups », comme la hausse du marchés actions. Pour une croissance durable, il faut que la part des salaires dans le PIB cesse de baisser et que les prix cessent de monter. Leur modèle est intenable.
Pensez-vous que les investisseurs étrangers croient aux Abenomics ?
Personne n'y croit ! Simplement, les investisseurs ne savent plus où mettre leur argent maintenant que les pays émergents n'ont plus bonne presse, que les investissements en Europe ne rapportent rien, et qu'ils ont peur de la Fed ; ils placent donc leur argent dans l'immobilier, et au Japon. C'est d'ailleurs pourquoi le yen ne baisse pas vraiment.
Pour l'instant, les Abenomics ont produit un résultat scandaleux : ils ont rendu plus riches les Japonais fortunés, ceux qui détiennent des actions. Avec cet argent, ces derniers consomment du luxe, du transport et du tourisme. La croissance durable, ce serait un partage des revenus plus favorable aux jeunes salariés, qui vivent de CDD mal payés. Depuis quinze ans, les salaires baissent d'1% par an tandis que la productivité augmente d'1% : soit 2% par an de déformation du partage des revenus. C'est monstrueux ! Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant qu'il n'y ait pas de demande. Shinzo Abe a tout de même parlé des salaires récemment.
Pensez-vous que l'inflation arrive au Japon ?
Le gouvernement Abe a fabriqué des anticipations d'inflation. Les prix et les salaires nominaux sont en train d'augmenter. Les salariés vont avoir tendance dorénavant à demander des augmentations de salaires de plus en plus fortes. Je pense qu'on peut avoir 1% d'inflation au Japon en 2014. Mais si cette inflation se transmet aux obligations, le Japon aura un très gros problème de financement, puisque le coût d'emprunt deviendra insoutenable. Déjà la hausse des taux est contenue par des achats massifs d'obligations de la BoJ. Si la BoJ ne parvient plus à contenir les taux, nous rentrerons dans une spirale infernale.