La rencontre : Fabrice Brégier (Airbus)
C'est fait. Le monopole Boeing au Japon est enfin tombé. Le 7 octobre, Japan Airlines a annoncé l'achat de 31 A350, assorti d'une option d'achats pour 25 autres appareils. C'est le premier achat d'Airbus pour JAL, une des rares compagnies aériennes qui s'équipait encore uniquement chez Boeing. FJE a recueilli les confidences de Fabrice Brégier, p-d-g d'Airbus, à l'occasion de la signature de la commande avec JAL.
Quel fut le déclic pour Airbus chez JAL ? Pour beaucoup, c'est Kazuo Inamori, qui a redressé JAL.
En amont, il y a eu une restructuration d'Airbus Japon, et un travail de promotion de l'A350 pendant plusieurs années. Il m'est aussi apparu que le contexte était favorable à ce que nous puissions gagner une grande compétition au Japon. Depuis un peu plus d'un an, nous avons travailllé dur sur le sujet. La nouvelle direction de JAL est très ouverte pour faire les meilleurs choix pour son avenir. C'était un préalable, mais ça n'était pas suffisant pour gagner.
Jusqu'en 2010, Airbus Japan était dans la plainte et l'agitation politique. Comment avez-vous changé les choses ?
Nous avons considéré que le modèle d'Eurocopter pouvait nous être utile. Sur le marché civil, il est le leader au Japon. Nous avons confié la responsabilité d'Airbus Japan au patron d'Eurocopter Japan, qui a fait du bon travail. Un travail de proximité, d'incitation pour qu'Airbus fasse sa part d'effort à Toulouse. Le patron de JAL n'a aucune inquiétude sur la qualité du produit qu'il a sélectionné. Nous avons juste fait notre boulot. L'environnement politique intervient, évidemment. C'est un pays où les relations de confiance et la tradition sont plus fortes qu'ailleurs. Mais ça ne peut pas être une justification de l'échec permanent. Il faut l'intégrer et faire avec les règles du Japon.
Vous êtes co-président de la Business Roundtable entre l'Europe et le Japon. Cela vous a-t-il aidé ?
Non. Le choix a été un choix commercial. Le contexte qui fait que le Japon et l'Europe veulent signer un accord large de libre-échange est favorable à un choix Airbus. Le Japon et l'Europe ont un intérêt à un accord international. Le commerce mondial pourra grandir grâce à ces accords. Que des entreprises mondiales comme Airbus soient les premières à en bénéficier est au fond assez logique. À ma connaissance, il n'y a pas eu de pression politique sur ce contrat. Vous savez, les pressions n'apportent pas grand-chose. Que se serait-il passé si JAL n'avait pas choisi Airbus ? Rien... Choisir Airbus, c'est un choix raisonné, basé sur des considérations purement commerciales des deux côtés.
Les choix des transporteurs japonais ont-ils encore une influence sur les autres transporteurs ?
Le fait qu'une des plus grandes compagnies aériennes nous choisisse est très positif. Cela aura un impact mondial. D'autres clients sont dotés uniquement d'avions Boeing. Le choix de JAL montre que si JAL peut choisir l'A350 tout en étant client du 787, d'autres compagnies aériennes peuvent très bien le faire.
Quelles citadelles Boeing pourraient-elles tomber dans les prochaines années ?
Boeing est historiquement fort aux États-Unis. Notre part de marché là-bas n'est que de 20%. Nous avons vocation à augmenter cette part de marché. Je ne vois pas d'autre bastion. British Airways a récemment mis en service l'A380, premier long courrier non Boeing dans sa flotte, et a récemment commandé dix-huit A350. Le choix historique pro-Boeing de cette compagnie a donc été battu en brèche très récemment.
Quels sont vos souvenirs personnels de votre passage au Japon pour Péchiney en 1984 ?
À l'époque, il était rare de choisir le Japon. Les jeunes partaient plutôt aux États-Unis. Mais je voulais découvrir une culture différente de la nôtre. Du point de vue professionnel, j'avais la chance d'avoir un vrai travail opérationnel avec des équipes commerciales japonaises. Ce dont je me rappelle, c'est qu'il fallait d'abord faire un effort pour convaincre nos interlocuteurs japonais d'acheter des produits de haute technologie à base d'aluminium, puis faire un effort encore plus grand envers les usines françaises pour qu'ils traitent en priorité un client naissant, donc mineur par rapport à leurs autres enjeux. Ce que j'ai appris à ce moment-là m'a servi pour cette campagne de JAL : j'ai compris que je devais considérer qu'elle représentait une campagne prioritaire pour Airbus, donc pour le patron d'Airbus que je suis.
Le directeur général d'ANA a dit qu'il choisira son prochain long courrier d'ici avril. La décision de JAL va-t-elle libérer les esprits vis-à-vis d'Airbus ?
Je ne sais pas. Chaque compagnie aérienne a ses propres préoccupations, priorités, contraintes. On verra, en fonction de l'appel d'offres lancé. J'ai bon espoir que si ANA veut remplacer des avions similaires à JAL, nous pouvons démontrer que nous avons les meilleurs produits. On se battra. Mais notre concurrent fera aussi des efforts. J'ai le sentiment qu'il y aura compétition !