Le Japon doit regarder l'avenir en face

Seiichiro Yonekura, professeur à l’université Hitotsubashi, enjoint le Japon à se convertir au logiciel pour rester une puissance technologique.

Vous avez récemment fait beaucoup parler de vous en qualifiant la voiture à hydrogène Toyota Mirai, partout encensée, de « plus grosse erreur jamais commise ». Expliquez-vous !
J’ai dit cela lors d’une présentation pour Dassault Systems. Mirai veut dire « futur », mais cette voiture n’est pas le futur. Les industriels japonais persistent à penser l’avenir en termes de hardware. Ils ne changent rien au véhicule lui-même : il pèse toujours une tonne, il est toujours doté d’un moteur à combustion... Google de son côté travaille sur un système de transport automobile sans collision. Si les voitures n’ont plus d’accident, alors l’acier devient inutile ; elles peuvent être en fibre de carbone, devenir plus légères, plus petites, avec des plus petits moteurs. Alors l’hybride ou l’hydrogène deviennent superflus, et on peut utiliser les moteurs classiques. Je ne crois pas à la « société de l’hydrogène » de demain. Sans quoi nous devrons installer des stations d’hydrogène dans le monde entier, ce qui est dangereux et incompatible avec les moyens des pays en développement. Mieux vaut utiliser intelligemment des logiciels qui permettent de coordonner la circulation, d'améliorer l’efficacité énergétique des véhicules, de réduire la pollution et plutôt que de travailler comme Toyota, vous pouvez doubler votre efficacité énergétique, réduire la pollution et libérer des ressources pour les affecter à d’autres besoins, comme l’éducation.

Si vous avez raison c’est terrible pour le Japon, qui est un pays de hardware plutôt que de software.
C’est précisément pourquoi Toyota a introduit la Mirai ! Récemment le Japon essaie de vendre un métro à l’Indonésie. Mais une fois encore, c’est une solution de hardware. Un métro coûte énormément d’argent et n’est pas forcément adapté à un pays comme l’Indonésie. Or grâce au big data, nous pouvons rationaliser la circulation et faire des économies. Je ne suis pas un scientifique, mais je sais que nous devons changer nos mentalités. Les pays en développement ne sont pas obligés de suivre le modèle des pays développés ! Autre exemple : la construction. Mitsubishi Electric a inventé un climatiseur qui dirige l’air climatisé en fonction des mouvements des habitants de la maison. Mais au Japon il faut refaire la maison de A à Z ! Les Japonais ne cherchent pas à changer, ils cherchent à s’adapter, ils bricolent pour faire tenir le statu quo...

Vos idées sont très iconoclastes au Japon. Je suis surpris que vous soyiez encore en liberté !
Oui, je suis faible, isolé... Les gens voient l’avenir comme ils le souhaitent. Il faut regarder l’avenir en face, surtout s’il dérange. C’était le titre de l’essai d’Al Gore : Une vérité qui dérange. Mais les industriels japonais espèrent que l’avenir sera façonné à leur image. Or, depuis les années 90 aucune innovation de rupture ne vient du Japon. On n’entend parler que de Google, Facebook, Apple, Samsung...

Il est inquiétant par exemple de constater qu’aucune entreprise japonaise ne soit leader sur le segment des drones.
Le drone est un exemple parfait pour illustrer ce que je dis. Les gens pensent qu’un drone est un objet simple. C’est vrai si on parle de hardware. Mais si on pense en termes de logiciels, c’est une machine très complexe. Les urbanistes utilisent les drones pour imaginer des villes entières à partir des données qu’ils recueillent sur les paysages qu’ils survolent. C’est une invention qui a un impact sur nos vies beaucoup plus profond que ce que les gens perçoivent d’ordinaire. Ils pensent que c’est une sorte de jouet... Non. Avec de bons logiciels, une fois encore, c’est une invention formidable.

Comment expliquez-vous que votre discours soit peu repris par les médias ?
Les grandes entreprises ont beaucoup de pouvoir et peuvent contrôler ce qui se dit dans la presse. Par ailleurs les Japonais veulent que Toyota et les grandes entreprises soient aussi puissantes que jadis. Toyota est le premier exportateur, et le premier apporteur de devises aujourd’hui. Cela me rappelle la situation du constructeur automobile américain General Motors. En 1980, personne ne critiquait GM, Et GM est tombé en faillite. Notre devoir est d’être réaliste.

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