Le Japon joue la défense

Le gouvernement Abe veut exporter du matériel militaire. Mais les industriels japonais du secteur renâclent

Coming out
L'industrie japonaise de la défense ne se cache plus ! Elle a même tenu salon mi-mai à Yokohama, accueillant pour la première fois sur le sol national dans un tel cadre des industriels spécialisés dans la défense navale, en particulier anti sous-marine et anti-mines. Au même moment, les députés étudiaient à la Diète une nouvelle législation autorisant pour la première fois le pays à participer à des opérations collectives de défense.
Malgré l'opposition de l'opinion publique nationale, l'industrie japonaise de la défense a été remise en ordre de marche depuis le retour de Shinzo Abe aux affaires. Cette priorité est politique, stratégique mais aussi budgétaire pour le gouvernement. Le Premier ministre souhaite favoriser les partenariats avec des groupes étrangers et développer les exportations, avec le but de réduire le coût des achats de la dixième armée du monde. Le premier avril 2014, le parlement a voté l'assouplissement des « trois principes » (ne pas exporter d'armement vers les pays communistes, vers ceux soumis à un embargo des Nations-Unies, ou vers ceux en conflit) qui, jusqu’alors, interdisaient l'exportation de matériel de défense. Dans le même temps le Japon a signé des protocoles avec l'Australie, l'Inde et la Grande-Bretagne. Le 13 mars dernier, le ministre des Affaires Étrangères français Laurent Fabius et celui de la Défense Jean-Yves Le Drian ont signé un accord de ce type avec leurs homologues japonais. Tous ces accords comportent une partie opérationnelle (échange de renseignements, lutte contre la piraterie et le terrorisme...), mais également l'affichage d'une volonté de coopération entre les industries de défense.

Tire-au-flanc
Or, le moins qu'on puisse dire est que, pour reprendre une expression militaire, la discipline ne règne pas dans les rangs. L'industrie japonaise n'a en vérité guère emboîté le pas de ses officiels. Les grands conglomérats industriels, heureux de dominer leurs domaines civils, sont plutôt embarrassés de devoir prêter le flanc à la critique d'une opinion publique intérieure qui reste pacifiste et très peu informée des problèmes de défense. Dépendants du marché intérieur pour 85% de leurs ventes, ils ne tiennent pas à apparaître comme des marchands de canons vis-à-vis de leurs principaux clients.
Pour sa première édition, dans ce pays qui a connu le train miniature 25 ans avant le train grandeur nature, le salon de la Défense était d'abord celui du modélisme : maquettes de sous-marins de nouvelle génération, d'hélicoptères anti-mines, du porte-hélicoptères Izumo tout récemment inauguré, d'un ravitailleur d’escadre type Towada... Cette fière flotte de modèles réduits était gardée par les incontournables « grands noms » japonais (MHI, KHI...) mais aussi étrangers (Thalès, SAGEM, ECA, Lockheed, General Electric, SAAB...). Le salon a reçu la visite des plus importants hiérarques de l'industrie : amiraux, commandants de flottes ou directeurs de départements, capitaines de vaisseaux, chefs de service, lieutenants de vaisseaux... Si l'exercice est habituel pour les exposants étrangers, il n'en allait pas de même pour les exposants japonais. Ainsi répondaient-ils de manière incohérente, par un souci de confidentialité mal placée, aux journalistes qui les interrogeaient sur les particularités des produits exposés.
Dans la ligne de la politique étrangère du gouvernement Abe, cette petite exposition envoyait malgré tout un message clair : le Japon veut aussi exporter et coopérer avec d'autres partenaires que les Américains dans l'industrie de la défense. Il reste à savoir combien de temps il faudra à cette ligne pour être comprise de l'administration de la défense, qui continue à raisonner en terme strictement nationaux ; puis aux industries japonaises, qui ne sont pas du tout prêtes à exporter, faute de motivation et de personnes formées à ce métier délicat.

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