Les Japonais goûtent au bio

Nouveau pari d' Aeon sur une enseigne française : Bio C' Bon ouvre ses portes au Japon.

Un pari dAeon

Plus la peine d’aller en France, il suffit de franchir les portes du supermarché Bio C’ Bon d’Azabu-Juban, le quartier chic de Tokyo. Ouvert en décembre, le magasin reproduit les codes de l’enseigne française : dynamique, lumineux, géné­reux... En coulisses se joue l’avenir de la distribution japonaise. C’est une fois de plus Aeon, le géant du secteur, qui est à la manœuvre : après avoir introduit Picard au Japon, il prend Bio C' Bon sous son aile et lui promet un bel avenir dans la troisième économie du monde. Pourquoi une telle fringale ? L’explosion de la distribution en ligne amène les grands acteurs classiques, comme Aeon, à se remettre en cause pour demeurer attractifs. En France, Carrefour et Auchan ont publié des rapports retentis­sants sur l’avenir de leur secteur. Auchan, par exemple, a annoncé qu’il reconvertira 20% de son espace de vente pour d’autres finalités (éducation, divertissement...). Aeon est confronté au même défi. Auquel s’ajoutent ceux, plus aigus au Japon qu’ail­leurs, de la sécurité alimentaire (après la tragédie de Fukushima) et du vieillissement et de la baisse de la clientèle.

C’est une union morganatique. Aeon pèse 65,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et compte 520.000 employés face au petit Bio C’ Bon. Inquiet du racornissement du marché intérieur, déplorant l’ultra-di­versification de son groupe (distribution, banques, agences de voyages, marques de vêtements...), son directeur général Motoya Okada tâtonne pour faire entrer ce géant dans le XXIe siècle. "Aeon est davantage un promoteur immobilier qu’un groupe de supermarchés", observe un familier du secteur.

Motoya Okada à la manœuvre

Motoya Okada multiplie donc les expé­riences et a vu en Bio C’ Bon un des acteurs de la distribution de demain. Le dyna­misme de la chaîne française impressionne. En 2011 elle revendiquait cinq magasins ; elle en compte aujourd’hui 125 dans cinq pays, dont 101 en France. Bio C' Bon avait prévu de se développer dans les pays voisins de la France sans jamais lorgner sur le Japon ; mais le Japon est venu à lui. C’est Mme Okada, l’épouse du direc­teur général du groupe, qui a la première apprécié ses magasins. En cliente. "Les choses sont allées très vite" raconte Pascal Gerbert-Gaillard, qui représente Bio C’ Bon dans l’Archipel. Après un coup de foudre entre les deux dirigeants d’Aeon et de Bio C’ Bon en 2015, les équipes conjointes ont listé plus de 3500 références sur des pro­duits 100% bio.

Pour l’instant les produits vendus chez Bio C’ Bon coûtent trois fois plus cher que leurs équivalents en France. La gageure "bio" est très difficile à tenir dans un pays où l’agriculture ne s’y est pas convertie*. L’offre locale, limitée, contraint Bio C' Bon à se fournir pour moitié à l’étranger et l’oblige à passer les tests des autorités sanitaires nippones, moins stricts que les tests européens ! Le magasin a ses rayons à succès : comme son rayon "vins", avec des vins bio abordables et nouveaux pour les consommateurs. Ou son "bar à vrac", avec un grand choix de céréales, de fruits secs ou de fèves de chocolat à acheter au poids. Avec son espace pour animations et workshops, Bio C’ Bon montre la voie : les magasins devront être interactifs et proposer de nouvelles distractions à la clientèle.

Bio C’ Bon est un pari sur l’avenir. Les jeunes mamans japonaises, très sensibles à la qualité de l’alimentation au foyer, sont souvent les premières à franchir le pas et se fournir chez lui. Mais sans volonté des acteurs publics et du secteur, cette offre demeurera confidentielle au Japon.

Le présent n’est pas bio

Les Japonais vivent sur le mythe d’une production agricole "locale donc saine", avec de beaux produits. Cette croyance ne résiste pas à l’analyse : le Japon utilise énormément de produits phytosanitaires à l’hectare. L’Archipel ne donne pas d’aide particulière aux agriculteurs "bio" et la la­bellisation (label JAS) n’est pas aussi stricte qu’en Europe ou aux États-Unis. Résultat : un marché encore de taille modeste parmi les quinze premiers marchés développés : septième en volume, mais bon dernier par habitant. Aujourd’hui 0,5% de la surface cultivée est "bio" au Japon, contre 5% de la surface américaine et 2,5% de la surface française. "La situation du Japon est sem­blable à celle de la France il y a 25 ans", analyse Pascal Gerbert-Gaillard. La popularité en hausse constante des magasins bio en Europe et aux États-Unis montre la voie au Japon. Saura-t-il l’emprunter ?

*Surface cultivée bio

États-Unis : 10 %
Japon : 0.5 %
France : 2.5%

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