Maître et Disciple

Quel est votre premier souvenir de l’autre ?
Emmanuel Prat Après notre retour du Japon où nous avions passé dix ans, mes parents ont eu l’extrême clairvoyance de veiller à ce que mon frère cadet et moi-même pratiquions le japonais que nous avions appris naturellement en grandissant dans le quartier de Sangubashi près de Meiji Jingu. Sur recommandation d’un ami, ils étaient entrés en contact avec Makoto qui, jeune stagiaire de l’Okura-sho (le ministère des Finances japonais) auprès du Ministère des Finances, avait très gentiment accepté de se rendre chaque jeudi à Versailles pour nous donner des leçons de japonais. C’était en 1963 et je lui en suis profondément reconnaissant.

Makoto Utsumi Après mon entrée au ministère des Finances, je suis parti étudier le système fiscal français à Paris grâce à une bourse du gouvernement français. A cette époque un ami m'a dit qu'un père de famille français qui était rentré du Japon se désolait que ses fils oublient le japonais qu'ils avaient appris. Cet homme m'a demandé d'apprendre le japonais à ses fils. Chaque jeudi, je me rendais à Versailles, chez les Prat, pour dîner, après quoi j'enseignais le japonais à Emmanuel pendant 90 minutes. A l'époque il était encore lycéen. Son japonais était remarquable, et à vrai dire il n'avait pas besoin de moi. J'étais intrigué par ce qu'il me disait du Japon et de la France. A l'époque la distance entre les cultures française et japonaise était beaucoup plus grande qu'aujourd'hui. J'avais l'impression qu'il était mûr pour son âge, peut-être parce qu'il s'était frotté à deux cultures.


A votre avis, pourquoi votre amitié dure-t-elle depuis si longtemps ?
E.P. Ayant l’un et l’autre poursuivi nos chemins respectifs, c’est au début des années 1990 que je l’ai retrouvé à Tokyo. Après avoir été en poste à Bruxelles et Washington, il était alors Vice-Ministre des Finances chargé des Affaires Internationales et ce fut une grande joie de le revoir aussi chaleureux et simple en dépit de ses hautes fonctions. En 1995, en accord avec Bernard Arnault, je lui ai demandé de rejoindre le Conseil d’Administration de LVMH Japon en signe d’amitié et de confiance. Il y siège toujours, suivant avec intérêt et parfois amusement nos activités si particulières et lointaines des grands enjeux auxquels il a été associé !

M.U. Depuis mon retour au Japon en 1963 nous n'avons jamais perdu contact. En 1991, lorsque je suis devenu vice-ministre des Finances en charge des Affaires Internationales, il est venu me rendre visite. Il était déjà président de LVMH. C'était le début d'une nouvelle relation pour moi. Trente ans avaient passé. En trente ans, lui et moi avions vécu dans deux mondes totalement différents. Pourtant nous partagions les mêmes valeurs et comprenions tous deux les cultures japonaise et française. En plus, nous pouvons nous soutenir mutuellement dans les domaines que nous connaissons mieux. Je pense que notre relation est idéale en quelque sorte. Dans ce contexte, Emmanuel et Bernard Arnault m'ont demandé d'être directeur externe de LVMH Japon. J'ai accepté et continue de le faire.

Quand vous a-t-il impressionné le plus ?
E.P.
Sa jeunesse d’esprit et son énergie sont étonnantes. Passionné de montagne, il a grimpé bien des sommets comme le Machu Picchu. Aujourd’hui, parti de Vézelay, il entreprend, par étapes, le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Pas mal !

M.U. Il est assez difficile de mener le conseil d'administration de LVMH Japan. Il y a beaucoup d'entreprises différentes, leurs représentants sont de diverses nationalités et tous n'ont pas les mêmes intérêts. Je suis donc très impressionné par Emmanuel. Il est très doué pour atteindre le consensus, presque à la japonaise, entre les parties.


Y a-t-il quelque chose que vous ne lui avez jamais dit ?
E.P. Je ne lui dirai jamais assez mon respect pour ce qu’il est et a accompli.

M.U.
Il serait difficile pour LVMH de trouver quelqu'un pour remplacer Emmanuel. J'ai bien peur qu'il ne puisse pas rentrer en France.

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