Médecine douce

Chez Takeda, le Français Christophe Weber déploie sa pédagogie de la réforme

CONSENSUS
Au printemps 2014, juste après la nomination de Christophe Weber, au poste de directeur opérationnel de Takeda Pharmaceutical, une poignée d’actionnaires, souvent retraités du géant japonais de la pharmacie, s’étaient réunis à Tokyo pour rédiger une missive aux membres du conseil d’administration de l’entreprise. Critiquant la promotion du Français venu de GlaxoSmithKline, ils s’emportaient contre "ce détournement du groupe par des capitaux étrangers" et se montraient très sévères à l’encontre du PDG de la société, Yasuchika Hasegawa, qu’ils accusaient d’avoir commis des erreurs stratégiques lourdes. Les investisseurs les plus en colère promettaient même de demander la tête du Français si les résultats venaient à se dégrader dans les six mois suivant son arrivée.
Trois ans plus tard, les critiques se sont tues. Les bénéfices se sont redressés et l’action du groupe affiche une poussée de près de 30% sur les douze derniers mois. Fin juin, lors de l’assemblée générale des actionnaires de Takeda, seuls quelques investisseurs individuels se sont agacés contre l’attribution d’un titre de conseiller à l’ancien PDG japonais qu’ils avaient tant décrié. "Plus largement, il n’y a plus de débat sur le bienfondé de notre stratégie", confiait récemment au quotidien Les Echos Christophe Weber, qui a pris la direction de l’entreprise en avril 2015. "Les actionnaires ont intégré les changements mis en place et d’ailleurs tous les directeurs, moi y compris, ont été réélus avec plus de 90% des votes, le meilleur score depuis mon arrivée", note le dirigeant.

RECENTRAGE
Christophe Weber déploie progressivement ses réformes au sein de la société fondée il y a 236 ans dans le quartier Doshomachi d’Osaka, où se concentraient alors les échoppes vendant des remèdes traditionnels chinois.
Depuis sa nomination au poste de PDG, il a stoppé les développements dans les secteurs qu’il ne jugeait plus prioritaires et a décidé de concentrer les efforts du groupe sur trois thérapies - l’oncologie, la gastro-entérologie et le système nerveux central – avec pour projet de s’imposer en leader mondial sur ces segments en croissance. "Cela représente un énorme bouleversement et ça n’a pas été facile pour tout le monde. Mais les équipes peuvent désormais voir clairement la nouvelle direction", insiste le dirigeant. "Cette pédagogie est cruciale dans notre industrie car la pharmacie est un secteur qui travaille sur des cycles longs. Les résultats des changements que nous effectuons aujourd’hui ne seront perceptibles que dans plusieurs années. Il faut donc expliquer sa démarche, convaincre et savoir emmener les gens dans votre projet", détaille-t-il.
Ce repositionnement s’est accompagné d’une réorganisation des équipes mondiales. Des chercheurs spécialisés dans les thérapies abandonnées ont quitté l’entreprise quand d’autres ont rejoint des "spin-off", tels que Scohia Pharma, soutenus par le laboratoire. Le groupe a encore concentré ses centres de recherche à Boston aux Etats-Unis et au Japon.
Sur 33.000 employés Takeda dans le monde, environ 4.000 sont maintenant concentrés sur la recherche. Et beaucoup travaillent suivant de nouvelles formes de collaboration avec des start-up, des universités ou des biotechs qui pourraient porter, selon Christophe Weber, les futures grandes innovations. Au cours des 18 derniers mois, Takeda, qui comme les autres industriels japonais a longtemps vénéré le développement en interne, a ainsi lancé, dans le monde, une cinquantaine de nouveaux partenariats de ce type. "Nous n’imposons jamais de modèle de coopération prédéfini", insiste le PDG qui dit vouloir respecter l’indépendance de ces organisations. "Elles connaissent parfaitement leur spécialité et sont extrêmement concentrées et agiles. Nous devons respecter cela."

NOUVELLE CULTURE
Pour infuser cette culture de l’agilité, la nouvelle direction a mis en place une structure organisationnelle plus "horizontale" où le PDG est en lien direct avec les dirigeants des entités clés et à deux "échelons" seulement des responsables de développement des principaux secteurs thérapeutiques. "J’essaie constamment de limiter les niveaux hiérarchiques, de simplifier car dès que vous ajoutez des couches, vous apportez de la complexité à votre entreprise", détaille le patron français, qui veut casser les réflexes bureaucratiques inhérents aux grandes et anciennes organisations.
Le groupe pharmaceutique qui ne réalise plus que 25% de son chiffre d’affaires au Japon, où est basé un quart de ses employés, s’initie ainsi à la diversité. L’équipe exécutive comprend désormais huit nationalités différentes et le management est de plus en plus féminin, même dans les bureaux japonais. "À court terme nous voulons qu’au moins 30 % (contre 6% aujourd’hui) des nouvelles nominations à des postes de direction soient remportées chaque année par des femmes", martèle Christophe Weber. Ce changement serait crucial pour doper l’attractivité de Takeda au Japon, au moment où tous les grands groupes s’affrontent pour sécuriser suffisamment de talents. "Actuellement, dans la population active, beaucoup de jeunes, notamment avec un profil international sont plutôt tentés de rejoindre des entreprises étrangères qui sont souvent perçues comme plus modernes, même si, au fond d’eux, ils auraient été heureux de travailler dans un grand groupe nippon. Avec ces efforts, nous pourrions nous retrouver dans un positionnement idéal", estime le dirigeant qui multiplie les rencontres avec les équipes locales, sous forme de réunions informelles, pour expliquer cette philosophie et répondre aux questions ou aux doutes.
Il y a quelques mois, Christophe Weber a même dû diffuser un message en interne pour démentir des rumeurs qui l’annonçaient sur le départ. "Il y a toujours, ici, des idées préconçues sur les responsables étrangers : cette impression qu’ils ne peuvent pas comprendre les valeurs de l’entreprise, qu’ils ne sont pas là pour longtemps ou qu’ils ne s’engageront jamais pleinement... Il est crucial de démontrer que vous comprenez ces appréhensions", martèle le PDG.

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