Octobre, mais pas la révolution

Yukio Edano

Les élections législatives d'octobre ont, comme prévu, consacré le Parti Libéral Démocrate et le Premier ministre Shinzo Abe. Mais sa victoire a été occultée par la percée exceptionnelle du Parti Démocratique et Constitutionnel (CDP).

Un mois à peine après sa création sur les décombres du Parti Démocrate, cette formation de centre-gauche est devenue la deuxième force politique du pays. Cette victoire vient d'un homme : Yukio Edano. Ex-porte-parole du seul gouvernement d'alternance qu'ait connu le pays, ex-ministre de l'Industrie, il a captivé des millions d'électeurs grâce à un message clair, transmis par une campagne médiatique très moderne. Il prépare l'avenir en ouvrant, mois après mois, des permanences locales dans tout le pays. Il demeure discret, voulant « faire émerger une nouvelle génération d'hommes politiques ». Mais il travaille dans l'ombre. FJE l'a rencontré pendant une heure à sa permanence parlementaire.

Avez-vous jamais songé à rejoindre Yuriko Koike lorsque votre parti s’est dissous ?

Jamais de la vie.

Avez-vous été surpris par votre victoire aux législatives ?

Beaucoup d’électeurs sont frustrés par le PLD mais ne savent pas pour qui voter. Les autres partis n’ont plus de raison d’être. Nous avons établi des différences claires avec les autres formations et nous avons été plébiscités.

Ne devriez-vous pas remercier Shinzo Abe ? Par son positionnement clairement à droite, il a réveillé les forces d’opposition comme vous...

Oui, c’est vrai.

Quelle est la prochaine échéance pour vous ?

Je suis concentré sur les élections sénatoriales de 2019. Nous devons présenter davantage de candidats. Beaucoup de gens sont d’accord avec nos idées et attendent d’être représentés.

Vos amis caractérisent votre position par « centre-gauche ». Pourquoi ne pas aller résolument à gauche ?

Parce que la gauche seule ne remportera jamais les élections dans ce pays. De toute façon il n’y a plus de gauche ou de droite. Il n’y a plus que le « pouvoir d’en bas », qui s’oppose au « pouvoir d’en haut ». Nous sommes le « pouvoir d’en bas ».

Les jeunes ont voté en masse pour le PLD. Comment l’expliquez-vous ?

C’est vrai. Mais il y a énormément de jeunes qui n’ont pas voté du tout, qui voient la politique comme un univers lointain, sans rapport avec eux. Nous avons essayé de changer cette image. La clé du pouvoir demain, ce sont les jeunes. Il faut absolument les convaincre.

La loi sur les secrets d’État portée par le gouvernement Abe est controversée car elle incarne un grand recul des libertés publiques. Allez-vous l’abolir si vous prenez le pouvoir ?

Il faudra en tout cas grandement l’amender. La définition de secret est vague, et son application est entre les mains de l’administration.

Parmi les scandales qui entachent l’administration Abe, l’affaire « Shiori », à propos des accusations de viol d’un journaliste proche du Premier ministre Shinzo Abe, n’a pas eu beaucoup d’impact à la Diète. Pourquoi ?

Pour une telle affaire il faut la collaboration du PLD. Mais ce dernier refuse. Nous avons déjà demandé l’audition du responsable de l’Agence de police qui a fait arrêter l’enquête. Mais d’une manière générale la sensibilité du public à ces questions demeure très faible.

Sur la question du « présentéisme » dans les entreprises, qui pousse parfois les employés au surmenage, jusqu’à la mort, que feriez-vous différemment du gouvernement Abe ?

Les lois en place suffisent pour régler les abus des employeurs. Le problème est leur application. Dans les vingt dernières années le système judiciaire n’a pas fonctionné correctement. C’est un système bureaucratique et hiérarchique qui va toujours dans le sens des intérêts de l’administration. Il n’y a pas assez de justice dans notre pays. Pour moi c’est un sujet de société dont les citoyens doivent s’emparer.

Vous avez été ministre de l’Industrie. Êtes-vous inquiet au vu des scandales récents qui touchent les manufacturiers japonais ?

Certaines entreprises comme Toshiba ont laissé la qualité de leurs produits se dégrader, mais ça n’est pas un problème général à l’industrie japonaise. Ces trente dernières années, on ne peut pas dire que nos exportations aient faibli. Bien sûr, si on les compare à la Chine ou aux pays d’Asie du Sud-Est, elles ne croissent pas, mais pas en comparaison d’autres pays industrialisés comme la France ou les États-Unis.

Lorsque je vous ai interviewé en 2011 vous souteniez le Mitsubishi Regional Jet, le projet national d’avion créé par Mitsubishi. Au vu des énormes problèmes du projet, diriez-vous la même chose aujourd’hui ?

Hélas le MRJ ne se déroule pas comme prévu... Est-ce un problème de Mitsubishi ou de l’industrie aéronautique en général ? Nous devons y réfléchir. Cet avion ne correspond peut-être pas à notre époque. L’industrie japonaise est forte dans d’autres secteurs. Le Japon devient un pays d’équipementiers, comme on peut le voir avec la part très importante des fabricants japonais dans le 787.

Parlons de l’arrivée des travailleurs étrangers au Japon. Leur statut constitue une forme d’exploitation régulièrement critiquée. Changeriez-vous ce système ?

Ce système a été récemment modifié afin que leurs droits soient mieux pris encompte. Mais une fois encore le contrôle de ces droits n’est pas efficace. C’est typiquement un domaine dans lequel l’appareil judiciaire doit mieux fonctionner.

Le Japon doit-il embrasser l’immigration ?

Même si nous permettons à des immigrés de rentrer au Japon, je ne pense pas qu’ils seront heureux ici. Les Européens ne souffrent pas vraiment de discrimination au Japon, mais les Asiatiques, oui. Regardez le système actuel des travailleurs étrangers stagiaires mis en place par le Japon : ces gens sont traités comme de la main-d’oeuvre, pas comme des êtres humains. Il faut lutter d’abord contre les discriminations avant de changer le système.

Le Japon a accordé l’asile à six demandeurs seulement au cours du premier semestre 2017. Cette politique doit-elle être revue ?

Notre situation sur ce plan est mauvaise. Mais il faut être réaliste : même si nous les accueillons, ils ne seront probablement pas heureux ici, pour les raisons évoquées précédemment. Certes, parmi les nombreux réfugiés vietnamiens que le Japon a accueillis en masse, beaucoup mènent des vies heureuses. Mais il y a énormément de situations problématiques.

Vous avez participé au premier gouvernement d’alternance du Japon. Rétrospectivement, pourquoi avez-vous échoué ?

Nous ne savions pas comment nous comporter en tant que parti de gouvernement. Le PLD a son propre modèle, c’est un modèle mauvais, mais nous n’en avons tout simplement pas de remplacement. Nous devons l’inventer.

Êtes-vous partisan d'abolir la peine de mort ?

À long terme, oui. Mais il faut un système alternatif, comme l’emprisonnement à vie, pour la remplacer.

Êtes-vous pour l'union entre couples de même sexe ?
Oui

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