Portrait : le mondialiste

Furie   
« C’est n’importe quoi ! », s’emporte Koji Omi à la moindre approximation de ses collaborateurs. Dans son bureau spartiate du quartier d’Akasaka, l’ambiance est électrique. Dans quelques semaines, le STS Forum, qu’il a créé et anime depuis 2004, tiendra son édition 2015 à Kyoto. Et l’équipe organisatrice est sur les charbons ardents, houspillée par son créateur.
À 82 ans, le père du STS Forum ne donne aucun signe d’essoufflement. Koji Omi tourne à plein régime. Intransigeant, irascible, il ne supporte pas l’approximation ni même la contrariété.
Dans ce visage aux traits que l’impatience et les ans ont figés se faufile parfois un sourire juvénile et des yeux de gamin. Ce gamin d’origine modeste né dans le Japon d’avant-guerre qui a gravi tous les échelons de la bureaucratie puis de la politique nippone après-guerre. On l'imagine slalomant entre les « héritiers » qui font le gros de l’élite japonaise. Ses 26 ans passés au METI, sa carrière politique couronnée par le poste de ministre des Finances (en 2006, lors du premier gouvernement Abe), en passant par l’Agence de la Science et de la Technologie auraient dû le contenter.
Au lieu de se reposer sur ses lauriers, il a lancé (avec Yu Serizawa) en 2004, à 72 ans, le STS Forum. Une manière pour lui, à l’origine de la Loi fondamentale sur la technologie de 1995, toujours en vigueur aujourd’hui, de poursuivre sa réflexion sur les sujets scientifiques. Koji Omi appelle pompeusement le Forum STS « le Davos de la science et de la Technologie ». L’analogie est trompeuse tant la notoriété de la grand-messe suisse écrase celle de l’événement de Kyoto (personne ne prétendra que Davos est le « Forum STS de l’économie »). Mais il est vrai que les deux manifestations ont la même ambition œcuménique. Le Forum STS réunit une fois par an décideurs, entrepreneurs et savants du monde entier pour des rencontres « hybrides ». « Le STS est la seule manifestation de cette nature sur la planète. N’est-ce pas extraordinaire, dans une ère où les progrès scientifiques sont si importants ? », s’étonne-t-il.

Ombres et lumières
Derrière ce rendez-vous, l'ambition d'exposer « les lumières, mais aussi les ombres du progrès scientifique. Beaucoup de décideurs ont renoncé à étudier la science. C’est devenu un sujet trop complexe. D’autre part, les sujets scientifiques sont devenus des sujets mondiaux, dont il faut débattre mondialement », explique Koji Omi. Organismes génétiquement modifiés et respect de l’environnement, énergie nucléaire et risques, big data et confidentialité... Les sujets (et les polémiques) ne manquent pas. La première édition réunissait 400 participants ; ils étaient 1000 en 2014. « 2015 est une année charnière pour nous », assure-t-il. Cette année, Manuel Valls a prévu d’honorer le Forum de sa présence, à quelques mois de la conférence sur le climat COP21.
Koji Omi pense que le Japon demeurera un pays tiré par l'innovation. Il estime ainsi que le Japon n’est pas gagné par l’idéologie de la précaution qui, jusqu’en France, remet en cause tout progrès au nom des conséquences potentiellement néfastes qu’il pourrait engendrer. « Ce débat n’est pas très vivace au Japon parce que ce pays dépend de la technologie pour survivre. Nous n’avons rien ! » rappelle-t-il.

Une ambition française
La France ne mégotte pas son soutien au Forum STS. L’actuel ministre des Affaires Étrangères, Laurent Fabius, s’y est déjà rendu. Lorsqu’il rencontre les représentants des sociétés françaises au Japon, il les encourage parfois à participer davantage au Forum STS. La venue de Manuel Valls cette année est un nouveau signe de cet engouement. Il sera accompagné notamment du président du CNRS, Alain Fuchs, du président de Valeo, Pascal Colombani, et du pd-g de Gemalto, Olivier Piou. « En Europe, et singulièrement en France, j’ai toujours le sentiment que les gens pensent à partir d’une vision universelle. Peu de pays pensent de cette manière. C’est pourquoi la France a bien compris l’idée du Forum STS », se félicite Koji Omi. « J’aime l’expression française Noblesse oblige. Les leaders de ce monde ont la responsabilité de l’avenir de l’humanité. C’est l’essence du Forum STS. »

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