Poste restante

L’introduction en Bourse de Japan Post a été un événement historique. Mais que deviendra cette institution ?

Historique
On se souviendra longtemps du 4 novembre 2015 à la Bourse de Tokyo. Ce jour-là le géant Japan Post Holdings (JPH) s’est finalement introduit sur le marché en même temps que ses deux filiales financières Japan Post Bank et Japan Post Insurance. Un premier pas (le gouvernement ne met pour l’instant sur le marché que 11% de chaque entité) vers la privatisation complète, légalement obligatoire, de ces vieilles dames du capitalisme japonais. Voilà dix ans que le Premier ministre de l’époque Junichiro Koizumi avait déclenché, contre sa propre majorité, le début de la privatisation de Japan Post. Sa loi avait été abrogée en 2009, puis revotée en 2012. Avec les introductions en Bourse du transporteur aérien JAL, de l’opérateur ferroviaire Japan JR, de l’opérateur télécoms NTT et du cigarettier Japan Tobacco, celle de Japan Post est une des grandes dates de l’histoire économique du pays. Le nom Japan Post est tellement solide (pratiquement tous les Japonais ont un compte à la Poste) que les autorités financières, qui tentent de relancer l’actionnariat populaire, ont orchestré cette triple introduction en direction des petits porteurs. L’argent ainsi levé contribuera à financer les travaux de reconstruction du Tohoku après la catastrophe de Fukushima.

Fers aux pieds
JPH est plongé dans le bain de la concurrence - mais avec des fers aux pieds. Sur le papier, le groupe épuise les superlatifs. Il emploie 440.000 personnes et campe sur 295.000 milliards de yens d’actifs, ce qui en fait un des dix plus grands groupes financiers mondiaux. Il contrôle 24.182 bureaux de poste, 177.700 milliards de yens de dépôts répartis sur 120 millions de comptes, 85.000 milliards de yens d’actifs répartis sur 33 millions de polices d’assurance. Sans oublier 79 hôtels et 14 hôpitaux.
Avec son introduction en Bourse, trois secteurs (la finance, la logistique et l’assurance) accueillent soudain un concurrent de plus. Mais Japan Post peut-il devenir un acteur « comme les autres » (voire meilleur, considérant le déplorable niveau de service des banques de détail nipponnes) de ces secteurs ? Il bénéficie d’un statut exceptionnel qui lui permet de vendre des produits bancaires, d’assurances et postaux en même temps, ce qu’aucune autre banque n’a le droit de faire. Mais le gouvernement ne l’a pas autorisé à entrer dans la plupart des services bancaires et d’assurance pratiqués par les institutions classiques. JPH est par ailleurs tenu au « service universel », qui le contraint à maintenir son gigantesque réseau de bureaux postaux coûte que coûte pour atteindre chacune des 1741 communes japonaises. « L’obligation légale d’un service universel empêche toute rationalisation ou fermeture de bureaux, quelle que soit leur rentabilité » avertit Brian Waterhouse, analyste du secteur bancaire pour CLSA. Les investisseurs privés - minoritaires - et le gouvernement - majoritaire - se retrouvent en opposition d’intérêts.

Un avenir incertain
Que deviendra JPH ? L’avenir à court terme n’est pas rose. Le groupe doit progressivement s’affranchir de ses filiales bancaires et d’assurance qui assurent les trois quarts de son bénéfice annuel et poursuivre seul sa route. Pour Brian Waterhouse, JPH pourrait imiter le modèle de SingPost, la poste singapourienne, qui a su se réinventer en géant de la logistique et du commerce électronique. « Pendant les trois prochaines années JPH investira près de 2000 milliards de yens, dont 420 milliards dans leur IT et 670 milliards dans la mise à niveau de leur réseau logistique », observe-t-il. JPH dispose aussi d’un trésor de guerre de 222 milliards de yens. Il pourrait l’utiliser pour se transformer, à coups d’acquisitions et de croissance interne, en groupe logistique de taille mondiale. Pourquoi pas ? S’il ne se réforme pas, Japan Post deviendra, selon l’expression de Brian Waterhouse, « le capitaine d’un Titanic du courrier ».

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