Rencontre : Yoshiharu Ueki (JAL)
Il y a un pilote dans l’avion
Ce 2 décembre, la Tarragon Room du Grand Hyatt bruisse des couverts et des conversations entre cadres de l’industrie aéronautique. La plantureuse Christine McGee, rédactrice en chef de la revue Orient Aviation, s’apprête à remettre à Yoshihara Ueki, p-d-g de Japan Airlines, sa récompense de « patron de l’année ». Aux Japonais et aux Américains se sont joints, pour l’occasion, des cadres d’Airbus. Car c’est aussi la fête de l’avionneur européen, du « premier cercle » depuis qu’il a décroché une commande historique de la part de JAL. C’est l’heure du discours. Après avoir subi quinze minutes de louanges, le p-d-g de Japan Airlines se lève de la table d’honneur, rajuste son costume et, d’une démarche pateline, atteint le podium. Yoshiharu Ueki n’a rien de la gravitas qui entoure généralement le patron chenu d'une grande entreprise japonaise. Il jette un regard à l'assistance, saisit le micro, et lâche, faisant référence à son passé de pilote : « C'est le moment où vous vous attendez tous à ce que j'annonce : Ladies and gentlemen, here is your captain speaking... ». Hilarité générale.
Un patron normal
Yoshiharu Ueki, c’est Monsieur tout-le-monde à la tête d’une des plus mythiques entreprises japonaises. Le retour en grâce de JAL deux ans après être tombé en quasi-faillite en 2010 est un conte à la Cendrillon pour les journalistes économiques ; mais son dirigeant depuis un an vit lui aussi un conte de fées. Cet ancien pilote de ligne détonne dans le patronat national. Il s’est retrouvé propulsé à la tête de JAL à son corps défendant. Personne ne lui avait prédit un destin si exceptionnel. Il n’est pas du sérail. Fils d’un célèbre acteur de films jidaigeki (les films japonais de cape et d’épée), il a été pilote de 747 pendant plus de trente ans avant de rejoindre le siège, où il a dû licencier des dizaines d'anciens collègues pilotes. Kazuo Inamori, le charismatique patron qui a tiré JAL de la faillite en trois années, l’a détourné de son plan de vol en le choisissant comme successeur. Une annonce littéralement tombée du ciel.
Du poing sur la table
Homme au tempérament jovial, Yoshiharu Ueki est très apprécié en interne pour son manque de façons et sa facilité d’abord. Charismatique, sobre (il ne boit jamais d’alcool), il a rassuré l’entreprise en ces temps troublés pour JAL. Raisonnablement cosmopolite (il parle un anglais tout juste correct), relativement jeune (il n’a que 61 ans), il sait tenir son rang parmi les autres directeurs généraux de compagnies aériennes dans cette région du monde ultra-dynamique. Il ne semble pas pour autant goûter le pouvoir ; en privé, il affirme qu'il se retirera d'ici une demi-douzaine d'années.
Ses détracteurs craignaient qu’il se dissolve dans l’ombre de Kazuo Inamori. Le redresseur de JAL a pris sa retraite à 80 ans en 2012, mais il revient au siège de l’entreprise une fois par semaine pour s’assurer qu’elle ne dévie pas du plan de vol qu’il a fixé. Si Yoshiharu Ueki était sa marionnette, il a coupé ses fils et s’exprime directement. « C’est un dirigeant humble. Il se bat simplement, avec sincérité, pour le bien de sa société », commente un de ses proches. La récente décision du gouvernement japonais de n’accorder que cinq nouveaux slots à JAL contre 11 à All Nippon Airways à l’aéroport de Haneda lui a donné l’occasion de faire montre d’une pugnacité rare au Japon. Il a demandé au ministère des Transports qu’il revienne sur sa décision s’il ne pouvait pas l’expliquer correctement. « Il est très différent de la vieille garde, qui a toujours un agenda politique caché », explique un proche. Ses qualités de pilote de ligne et de nouveau venu lui permettent de n'être pas lié par les comportements de JAL avant sa quasi-faillite. Ainsi a-t-il choisi de passer commande d'Airbus « parce qu'il trouvait illogique que JAL ne se fournisse que chez Boeing, et parce qu'il a testé les appareils Airbus en pilote, et non comme un cadre supérieur ordinaire », décrypte un acteur de la vente. Un patron « normal » ? Il fallait y penser.