Reportage : Celui par qui l'inflation arrive

Mission accomplie pour le gouverneur de la BoJ ? Pas si simple 

Triomphe 
Haruhiko Kuroda affirme désormais que sa mission est presque remplie. Nommé à la tête de la Banque du Japon, début 2013, pour faire sortir le pays d’une déflation paralysante, le gouverneur a enchaîné, ces dernières semaines, les prises de parole publiques pour expliquer que la spectaculaire politique monétaire qu’il a enclenché dès avril 2013 portait déjà ses fruits et que l’Archipel allait retrouver, comme il l’avait promis, un rythme de hausse durable des prix d’environ 2% par an. Les statistiques diffusées par la BoJ confirment, pour le moment, cette inflexion des prix. En excluant l’impact du relèvement du taux de TVA intervenu le 1er avril, l’inflation a atteint 1,5%, en glissement annuel, en avril dernier. Si cette progression semblait moins solide en mai et en juin, la Banque estime que le rythme de hausse des prix sera dans les prochains mois d’environ 1,25%. L’objectif des 2% nécessitera dès lors un peu plus que les 24 mois d’effort initialement évoqués. Il pourrait être atteint début 2016.
Pour prouver la « qualité » de cette hausse des étiquettes, qui a été, surtout, dopée artificiellement, ces derniers mois, par le renchérissement des marchandises achetées à l’étranger avec un yen de plus en plus faible, les économistes de la BoJ retirent de leurs modèles mathématiques non seulement le « bruit » créé par la modification de la TVA, mais également les prix de la nourriture et ceux de l’énergie, très sensibles aux variations de change. Ils ont alors isolé une inflation proche de 0,7%, qui prouverait, selon eux, qu’un mouvement de fond est alimenté par le prompt rétablissement des acteurs économiques du pays. Ils voient dans cet élément, qu’ils nomment core core CPI, la réussite du gigantesque programme d’assouplissement quantitatif orchestré par la banque centrale.

La théorie...
En inondant par ses rachats de dette publique les circuits de liquidités, l’institution aurait lentement réussi à pousser les banques à se montrer un peu plus généreuses en prêts, et les entreprises à ne plus hésiter à augmenter les prix. Selon Haruhiko Kuroda, le cercle vertueux, formulé par Shinzo Abe dans ses Abenomics, commencerait à s’enclencher.
S’il ne manque pas de s’auto-congratuler, le gouverneur de la BoJ refuse pourtant d’annoncer la mort définitive de l’hydre déflationniste. Tous les éléments de la victoire ne sont pas encore en place. Ainsi, les entreprises ne jouent pas encore complètement la partition que leur a confiée l’exécutif. Elles ont bien accepté de relâcher légèrement leurs prix, mais refusent encore de redistribuer les bénéfices de la hausse de leurs revenus à leurs employés. Et la Banque centrale craint que l’inflation ne dépasse rapidement la progression des salaires. Les revenus disponibles des ménages seraient alors rognés et le bel équilibre mis en place depuis l’an dernier serait menacé.
Le chômage ne cesse pourtant de reculer et pourrait toucher, à la mi-2015, le plancher du plein emploi, estimé, dans le pays, à 3,5%. À ce seuil, les personnes se déclarant sans emploi sont, en réalité, entre deux postes et n’ont aucun problème à se faire employer. Les travailleurs pourraient dès lors, en théorie, pointer le manque annoncé de main d’œuvre et exiger de meilleures payes.

... la pratique
Mais les groupes résistent. Ils n’ont concédé, lors du dernier shunto (négociations salariales de printemps) que des hausses limitées des salaires de base, et ont préféré se montrer plus généreux sur les composantes variables des rémunérations (notamment sur les bonus). En réaction aux frictions sur le marché du travail, ils continuent de privilégier le recours aux heures supplémentaires, l’embauche de travailleurs temporaires ou un recrutement plus massif de jeunes diplômés bon marché.
Semblant relayer leurs hésitations, Haruhiko Kuroda n’hésite plus à presser publiquement le Premier ministre d’enfin enclencher les réformes structurelles que réclament les entreprises depuis des années. Le gouverneur évoque un soutien au taux d’emploi des femmes ou la libéralisation de certains secteurs. Autant de chantiers qui ont été promis par Shinzo Abe dès la fin 2012 mais qui n’ont pas été concrétisés depuis. « Le plus gros du travail doit être fait par le gouvernement et le secteur privé », martelait, fin mai, le gouverneur, qui peine à dissimuler son impatience.

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