"Rien au Japon n'incite à l'engagement politique"

Pour le professeur Koichi Nakano, de l'université sophia, la politique demeure un tabou au Japon

Les élections législatives du 22 octobre ont vu une fois de plus le triomphe du Parti Libéral Démocrate, classé à droite. Comment expliquer l’absence de centre-gauche au Japon ?
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord le Japon n’est pas isolé : le monde entier semble pencher politiquement vers la droite, de l’Allemagne aux États-Unis. C’est une réaction à la mondialisation. Mais si on parle spécifiquement du Japon, on peut dire qu’il n’y a jamais eu de courant libéral ici. Après la seconde guerre mondiale, le Parti Libéral Démocrate (PLD) est devenu le bras politique de la bureaucratie. Bien que les Japonais soient à mon avis, dans leur for intérieur, plutôt modérés et libéraux, ils ne s’opposent pas au gouvernement actuel, plutôt d’extrême-droite. Ils se disent : si je suis contre le gouvernement, je suis motivé politiquement ; tandis que si je suis pour le gouvernement, je suis neutre. Rien au Japon n’incite à s’engager en politique, et surtout pas notre système éducatif. La plupart des gens ne votent pas, par conséquent les leaders du Japon ne représentent pas vraiment les convictions intimes des électeurs.

Peut-on comparer le Japon avec une autre démocratie : la France ?
Votre pays a une longue tradition politique, avec des courants divers. Mais au Japon le système politique empêche l’accouchement d’une telle diversité. Faire campagne au Japon est très compliqué. Le paradoxe est que, quand le suffrage est devenu universel (et masculin) en 1925, il est devenu plus restreint, d’une certaine manière, que lorsqu’il était censitaire. Ainsi le porte-à-porte est interdit depuis 1925, car il favoriserait l’achat des votes. Les débats sont, de fait, pratiquement impossibles pendant la campagne. On n’assiste jamais à une confrontation entre deux candidats sur une circonscription par exemple. Il n’y a eu que deux débats télévisés nationaux cette fois. La campagne dure très peu de temps (douze jours). Les dépenses de campagne sont très strictement encadrées. Enfin les règles de la campagne sont vagues à dessein, de sorte qu’elles laissent une grande liberté d’appréciation à la police pour déterminer si un candidat les a enfreintes ou non. La police peut a posteriori facilement annuler un scrutin. Autant de règles qui favorisent les sortants et n’incitent pas à s’engager.

Comment les candidats trouvent-ils des militants dans un tel contexte ?
Les députés ont besoin de groupes de soutien, dits Koenkai. Pour ceux de la majorité, ils trouvent des commerçants, des notables ou des membres de sectes religieuses qui tractent pour eux. Les démocrates, eux, se reposent surtout sur les syndicats. Mais cela change : la nouveauté de ce scrutin, ce sont les abstentionnistes flottants. C’est ce qui me rend optimiste : les mères de famille et les étudiants sont en train d’entrer dans le champ politique. C’est une conséquence de l’accident nucléaire de Fukushima depuis 2011. En fait d’un côté la société civile est devenue plus audacieuse. Elle a organisé de grandes manifestations devant la Diète après Fukushima. Mais d’un autre côté le pouvoir est aussi devenu davantage autoritaire.
Cette fois les abstentionnistes se sont retrouvés dans le parti constitutionnaliste et démocratique de Yukio Edano. Mais les forces conservatrices sont si puissantes, au Japon et ailleurs, que ce nouveau courant d’opposition sera peut-être détruit avant même d’avoir pu se développer. L’autre opposant au Parti Libéral Démocrate, le Parti de l’Espoir de Yuriko Koike, veut aussi détruire le libéralisme.

Le Komeito, le parti bouddhiste, a souvent des thèmes proches des libéraux en Occident. Il est pour le vote des étrangers aux élections municipales. Où le situer sur l’échiquier ?
Le Komeito veut le pouvoir. À Tokyo ils sont avec Yuriko Koike ; à Osaka avec le Parti de la Restauration ; au Japon avec le PLD.
Comment envisagez-vous l’avenir du courant libéral naissant incarné par Yukio Edano ?Yukio Edano doit décider de la direction que prendra son parti. Il se défend d’être libéral pour récupérer les voix du centre. Je pense que c’est une erreur, mais c’est sa stratégie...

Vous vous êtes engagé aux côtés de Yukio Edano. Ressentez-vous des pressions politiques ?
Le ministère des Affaires Étrangères a essayé de me discréditer auprès des journalistes étrangers en prétendant que je n’étais pas un professeur sérieux. Je sais que la police suit les militants de gauche qui viennent aux manifestations. Mais ça ne m’effraie pas.

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