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Europe et Japon ont signé un accord de principe. Une étape importante. Mais pas suffisante
Premier juillet, 23 heures. Une tornade venue d’Europe souffle dans la chambre 402 de l’hôtel Intercontinental à Tokyo. La commissaire européenne au Commerce de l’Union Européenne Cecilia Malmström s’engouffre dans la pièce flanquée d’un aréopage de hauts fonctionnaires bruxellois aussi bigarré que son continent. "Nous y sommes presque", dit-elle en souriant. Le 6 juillet, à Bruxelles, Shinzo Abe et Jean-Claude Juncker annonçaient officiellement s’être entendus pour signer l’accord de libre-échange dont ils parlaient depuis au moins dix ans. Le JEFTA est né. Extatique, Cecilia Malmström parle d’une convergence de vues inéluctable entre le Japon et l’Union Européenne, "aux mêmes valeurs : démocratie, règles de droit, ouverture..." Et ose : "Les savants européens et japonais ont mis ensemble le cap sur la planète Mercure. Et Nintendo doit son succès mondial à deux Européens : Mario et Luigi !"
"Nous parlons d’un accord Japon-Europe depuis 2006 sur le modèle du marché unique européen, avec pour principe qu’une norme adoptée dans un État-Membre s’applique dans tous. À l’époque l’European Business Council (EBC), dirigé par Richard Collasse, était totalement isolé pour défendre cette philosophie. L’accord Canada-UE et l’accord Japon-UE sont de ce type", se félicite Bjorn Kongstad, de l’EBC. Engagées officiellement en 2013, deux ans après un accord de libre-échange conclu avec la Corée du Sud, les négociations entre la première et la quatrième zone économique du monde lambinaient.
Finalement la cause du libre-échange aura été servie par le calendrier et par un invité (souvent) inattendu : Donald Trump. "Les élections législatives au Japon sont prévues pour fin 2018, et au Parlement européen pour mai 2019. Nous étions dans une belle fenêtre de tir", explique un diplomate. D’autre part, la spectaculaire sortie du TPP par les États-Unis a poussé le Japon dans les bras de l’Europe.
Les Japonais avaient un objectif facilement identifiable : ils réclamaient un abaissement des droits de douane, surtout sur l’automobile (véhicules et pièces détachées). Les Européens quant à eux devaient atteindre un objectif plus subtil : l’abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires : normes sanitaires intempestives (sur les fromages par exemple), tests (sur l’automobile…), règles inutiles (sur les appels d’offre publics)...
PAS DE BLANC-SEING
Les négociateurs ont raison de se féliciter de l’accord sur le volet tarifaire. 91% des importations européennes seront exemptées de droits de douane dès l’entrée en vigueur de l’accord (probablement en 2019), et 99% à la fin de la période d’exercice (probablement quinze ans plus tard). Aujourd’hui les droits de douane acquittés par les Européens représentent 1 milliard d’euros par an selon la Commission.
Certaines "Bastilles" non tarifaires aussi sont tombées : dans le cuir, les quotas d’importation seront enlevés dès l’entrée en vigueur de l’accord ; même chose dans le ferroviaire où la fameuse "clause de sécurité opérationnelle" (qui permet aux industriels de dicter leurs conditions de sécurité) disparaîtra. Pourtant les chefs d’entreprise familiers du Japon appellent à la vigilance dans l’application de l’accord. Après tout, nombre de barrières non tarifaires n’ont pas été levées. Et l’idée de développer des normes communes n’a pas abouti. "Des discussions sont nécessaires", explique pudiquement le communiqué en préambule. Un haut fonctionnaire bruxellois rassure : "Nous ne pouvons pas exclure le risque de nouvelles barrières non tarifaires. C’est pourquoi il faudra suivre avec minutie la mise en place de l’accord. Nous demeurons en contact permanent avec la communauté d’affaires européenne ici. Nous aurons des rencontres régulières avec nos homologues, assorties d’un mécanisme de règlement des conflits si nous ne nous mettons pas d’accord de façon informelle".
Verbatim - Cecilia Malmström "Nous avons travaillé très dur. Comme toujours dans les négociations commerciales, la cible est en mouvement. Mais nous y sommes presque. Presque tous les droits de douane entre nous seront supprimés, ce qui se traduira par des économies qui se chiffrent en milliards d’euros, des gains de temps, qui bénéficieront surtout aux PMEs, qui ont des ressources limitées. Nous espérons augmenter nos exportations vers le Japon d’un tiers et tripler nos exportations agricoles.Cet accord rapproche les institutions et les peuples. C’est un signal commun fort envoyé au monde contre le protectionnisme, pour les consommateurs et pour les entreprises. Nous pensons que de tels accords de libre-échange vont façonner la mondialisation. Nous n’en avons pas peur. Je suis très heureuse. Les Japonais sont très ambitieux. Nous demandons plus, mais nous donnons plus que dans le TPP. |
A
Bilan - Leçons sud-coréennes L’accord conclu entre l’UE et la Corée du sud dès 2011 est riche d’enseignements. Il a permis une hausse de 55% des exportations européennes vers ce pays et a fait réaliser aux entreprises européennes 2,8 milliards d’euros d’économies en droits de douane supprimés. Les industriels européens de l’automobile craignaient un "grand remplacement" de leurs modèles par des voitures sud-coréennes ; or si les exportations automobiles sud-coréennes ont bien grimpé de 53%, celles de l’UE vers la Corée du Sud ont plus que doublé. Mais un diplomate européen avertit : "Avec la Corée du Sud l’Union Européenne n’avait pas abordé les barrières non tarifaires, et celles-ci ont poussé après la signature de l’accord même si ce dernier est perçu comme un succès. |