Tenace comme un bourgeon
Ils ont réalisé le plus grand match de l’histoire de la Coupe du monde de rugby. Mais tout reste à faire pour que ce sport devienne populaire au Japon.
Héros surprise
Ce furent les héros inattendus de la Coupe du Monde de rugby 2015. Les Brave Blossoms, ces joueurs japonais dont tout le monde pensait qu’ils seraient fauchés au premier coup de vent, ont battu l’Afrique du Sud au terme d’un match haletant le 19 septembre dernier. « Le casse du siècle ! » annonçait la presse française, admirative. Un exploit extraordinaire pour cette équipe qui n’avait jusqu’ici pratiquement glané aucune victoire en Coupe du Monde depuis sa première participation en 1987. Un exploit qu’ils ont répété en battant dans la foulée Samoa et les États-Unis. Les Français, eux, sont déjà oubliés...
On comprend mieux ce grand chelem si on adopte une perspective historique. Depuis son introduction dans l’Archipel il y a plus d’un siècle, le rugby jouit de la même image aristocratique et exclusive qu’en Angleterre. Sport universitaire aux valeurs proches de celles du Japon (ténacité, entraide, modestie), il est prisé des universités et des grandes entreprises. Dans les années 80, les matches opposant les universités Meiji et Waseda battaient des records d’audience à la télévision. Les clubs de rugby des grandes “facs” étaient l’antichambre de l’élite nippone. C’est le groupe de télécoms japonais KDD (aujourd’hui KDDI) qui sponsorisa la première coupe du Monde en 1987 en Nouvelle-Zélande. Il y a encore beaucoup de raisons de fonder de grands espoirs sur le rugby au Japon : une fédération nationale qui compte pas moins de 140.000 joueurs, des équipements dernier cri... Le niveau des lycéens japonais, qui se frottent à d’autres équipes de la même génération chaque année dans la ville de Fukuoka (sud du pays), est excellent.
Ralentissement
Mais le rugby a été pris de court par le football dans les années 90. Le ballon rond au Japon s’est restructuré et professionnalisé grâce à la création d’une ligue nationale, la J-League. Le rugby, lui, est demeuré otage des grandes entreprises et des universités qui, pour des raisons d’image et de « lien social en interne », financent les clubs. Les affiches les plus excitantes aujourd’hui opposent des équipes aux noms aussi peu sexy que les Toshiba Brave Lupus et les Yamaha Jubilo. Elles sont composées de salariés de leur sponsor qui s’affrontent dans des stades dégarnis devant leurs collègues. Les matches les plus importants de la saison ne produisent que quelques entrefilets dans la grande presse. Une situation qui faisait craindre le pire pour la Coupe du Monde de rugby 2019, qui doit avoir lieu précisément au Japon. L’annulation du grand stade olympique en juillet dernier, alors qu’il devait être inauguré précisément par un match de ladite Coupe du Monde, avait douché les esprits. Y-aurait-il assez de spectateurs ? Les sponsors seraient-ils au rendez-vous ? Des questions capitales pour ce sport : ces compétitions internationales sont des sources de financement essentielles pour les fédérations nationales.
Le sursaut
L’exploit des Brave Blossoms face à l’Afrique du Sud a réveillé le pays. Match historique, au retentissement planétaire, il a eu l’effet inverse de la déculottée infligée par la Nouvelle-Zélande au Japon en 1995 (145-17!), qui avait soudain transformé les Brave Blossoms en parias. Cette fois, les joueurs de l’équipe nationale sont devenus des héros en 90 minutes. « On a battu tous les records. En matière d'audience télé, le Japon a vraiment crevé le plafond avec 25 millions de téléspectateurs pour le match contre l'Écosse. C'est extraordinaire », s’enthousiasmait Bernard Lapasset, président de la Fédération Internationale de rugby, au terme de la Coupe du Monde. Et ça n’est sans doute qu’un début. « Le football semble avoir disparu des médias pour quelques temps », s’amuse Robert Verdier, consultant et grand fan de rugby devant l’Éternel. Goromaru, le joueur star de cette équipe, fait l’objet d’un véritable culte. Tous les billets des matchs de la saison 2015-2016 de son équipe ont été vendus. La fédération internationale de rugby, un temps inquiète, est désormais rassurée sur les perspectives financières de la Coupe du Monde de rugby 2019 au Japon. Elle stimulera la mondialisation du ballon ovale, lui assurant une longueur d’avance sur le football américain. Le rugby est un jeu à quinze, mais il se joue encore à six nations.