Train d'enfer
Les opérateurs ferroviaires sont des titans du commerce et de l'immobilier.
HISTORIQUE
Les opérateurs ferroviaires japonais se sont toujours préoccupés de leurs usagers non seulement pendant, mais avant et après leur voyage. Au début du siècle dernier, l’entrepreneur légendaire Ichizo Kobayashi fondait non seulement les chemins de fer Hankyu, au départ d’Osaka, mais aussi le parc d’attractions et le onsen qui, dans l’anonyme ville de banlieue de Takarazuka, était censé détendre les familles en vadrouille le week-end. Ainsi se fit-il transporteur, promoteur, producteur, logeur, distributeur, prenant en charge parfois l’entière vie quotidienne de ses usagers - quand ils ne travaillaient pas pour lui. Ce modèle fut reproduit par la suite dans tout le pays, où la vie moderne devint toute entière organisée autour du rail. Les Japonais exportent des voitures mais voyagent plutôt en train ; le pays comptait 9 milliards de trajets par train en 2015, contre 1,5 milliards en Chine, pour une population onze fois supérieure. Shinjuku, la plus grande gare du monde, revendique ainsi 3,6 millions de passagers, avant Ikebukuro (2,7 millions) et Shibuya (2,2 millions). 97 gares japonaises ont un trafic passagers d’au moins 100.000 personnes, soit l’équivalent du passage d’un grand centre commercial en France. Un flot torrentiel de consommateurs qui, au cours de leur transhumance quotidienne de leur domicile vers leur lieu de travail, ne demandent qu’à être sollicités.
PASSAGERS CONTRE CONSOMMATEURS
Le modèle intégré des opérateurs ferroviaires prend toute son importance aujourd’hui. Frappés par le déclin démographique, les opérateurs de chemins de fer misent sur leurs activités commerciales et immobilières. Ainsi, après avoir décliné plusieurs concepts autour des gares avec succès (complexes ATRE, grands magasins LUMINE, centres de fitness, crèches...) ils exploitent depuis quelques années des espaces commerciaux à l’intérieur des gares (dits ekinaka), passé les composteurs. Le plus grand d’entre eux, dans la gare centrale de Tokyo (1,1 millions de passagers transitant dans 4000 trains et métros par jour), concentre 200 commerces : mode, cafés, accessoires électroniques, jouets... « Nous allons repousser les murs du passage sous la gare, entre les sorties Est et Ouest, pour ouvrir de nouveaux magasins », explique Akinori Hattori, de JR East, en charge du développement commercial des gares. Son entreprise gère aujourd’hui 162 centres commerciaux, contre quarante il y a trente ans. Elle investit aussi l’univers virtuel : JR East a désormais son site web, JR E-wall, qu’il articule avec sa très populaire carte de paiement mobile Suica, acceptée dans les taxis, distributeurs automatiques, convenience store... Dans le dernier rapport annuel de JR East, les recettes issues du transport de passagers ne représentent plus que 65% du total. Les autres opérateurs privés, comme Tobu ou Tokyu, ont adopté le même modèle.