Notre regard sur ...

Une nouvelle ère commence… au Japon

Reiwa

La CCI France a le plaisir d'ouvrir sa rubrique "actualité juridique" à Lionel Vincent, avocat chez LPA, membre de la CCI France Japon

Il n’aura pas échappé à personne que le 1e mai 2019 le Japon changera d’ère à la suite de l’abdication historique de l’actuel empereur, Akihito, pour raison de santé. Nous passerons de l’ère HEISEI qui avait débuté en 1989 pour l’ère REIWA au moment de l’accession du prince héritier Naruhito au titre impérial.

Cela signifie que nous serons en l’an 1 de l’ère REIWA à compter du 1 mai 2019. Donc, ne soyez pas surpris si vous apercevez des documents japonais inscrivant la date du 1 mai comme suit : 01 (an 1 de l’ère REIWA) - 05 (mois de mai) – 01 (premier jour du mois).

On peut se réjouir de cette tradition qui réserve au pouvoir temporel et spirituel la maîtrise du temps et de sa computation. Le calendrier est un instrument d’unification, de pouvoir et de gouvernement.

Même si aujourd’hui le calendrier grégorien est la norme internationale, faut-il rappeler qu’il est somme toute assez récent et fut adopté par le pape Gregoire XIII en 1582 et qu’il y a peu de temps encore, la France elle-même a connu pendant 14 ans un calendrier républicain daté de l’An I de la république (« 1792 » traduit en calendrier grégorien). Au Japon, la calendrier dynastique (nengô en japonais) se flatte de remonter selon la légende au 8e siècle avant le début du calendrier grégorien.

Toutefois, le Japon n’échappe pas à la normalisation qui s’accommode fort bien de la tradition. Depuis quelques années, l’administration japonaise tente de favoriser pour les actes administratifs l’usage de la notation de la date selon le calendrier grégorien. Cela va dans le sens de la simplification et épargnera à bon nombre d’administrés de compter sur leurs doigts les années de l’ère impériale écoulée pour la transposer en notation grégorienne. Dans les actes de la vie civile, il est possible en toute quiétude d’inscrire dans vos contrats, documents administratifs la date du 1 mai 2019 comme « 1 May 2019 » ou « May 1, 2019 » ou encore « 2019年 5月1日 ». En revanche le système du nengô reste le système officiel de datation des actes de procédure ou entre administrations.

Indépendamment du débat sur les vertus du calendrier grégorien et du nengô, il semble préférable dans la mesure du possible d’adopter dans les actes pour la notation du calendrier grégorien. Cela ne manquera pas d’aider ceux d’entre nous qui sont les moins forts en calcul mental et facilitera la compréhension des dates par nos clients.

Mais intéressons-nous un instant sur le nom de la nouvelle ère. Le nom d’une ère est important car il s’agit de l’expression d’un souhait, presque l’invocation d’un auspice voire un programme. Deux caractères, REI (令) et WA (和). Le deuxième caractère désigne la paix, l’harmonie et sa signification et ne souffre pas de discussion. Très fréquent dans le choix du nom d’une ère dynastique, la paix, l’harmonie font presque figure de lieu commun. Le premier caractère en revanche intrigue par son champ sémantique qui comporte les mots « ordre », « commander », « ordonner » mais également « loi », « règle ». On le retrouve le plus souvent dans le vocabulaire juridique pour désigner les lois et décrets (hôrei - 法令, seirei – 政令, shirei - 指令 etc.). Ce caractère comporte également la signification de « bon » ou « honorable » (mais au sens bon et honorable car bien ordonné). Bien qu’aucune traduction officielle n’ait été donnée à ce jour, le cabinet du premier ministre lui donne le sens de la « paix harmonieuse » en se référant à la source de ce terme issu du plus vieux recueil de poèmes du Japon le manyoshu (littéralement recueil des dix-mille feuilles daté du 760 – remarquable traduction en français par feu René Sieffert). Toutefois, l’exégèse littéraire de ce texte ne permet pas vraiment d’apprécier le sens qui est donné à ce terme 1200 ans plus tard. La poésie comporte sa part de mystère ce que la politique parfois lui envie au point de l’en priver. 

Ere de la « paix harmonieuse » ? Ere de la « paix ordonnée » ? Voire, ère de la « paix imposée » ? Il appartiendra au nouvel empereur d’insuffler à cette nouvelle ère le sens que le destin lui réserve. La paix ne se décrète malheureusement pas mais se gagne soit par les armes ou la persuasion. L’empereur du Japon est le garant des institutions et notamment de la constitution et son article 9 qui vaut la peine d’être cité : « aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ». Gageons que le nouvel empereur saura donner tout son sens à son règne en assurant une paix harmonieuse dans le cadre et le respect de l’ordre constitutionnel des choses (et peut être poétique).

Lionel Vincent
LPA Tokyo

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